©oceanofmoments

OSCAR & SILVIO
And everything is screaming
I will reach inside
Just to find my heart is beating.

Les cheveux encore collés par le sel de l'océan, je marche d'un pas titubant sur la plage, ma planche brisée sous le bras. Fait chier. La houle vient frapper mon dos endoloris avec violence alors que ma narine se remet à dégueuler ce sang acre sur mon visage fatigué. J'ai merdé. C'est pas comme si j'avais pas l'habitude, on passe tous un jour où l'autre dans la machine à laver, puis c'est loin d'être ma seule planche, mais ça m'fais quand même chier. Puis cette fois c'est différent. Si j'ai pas su tenir sur cette foutue vague, c'est pas à cause de l'équilibre. C'est la coke. Encore. C'est mon corps nerveux qui m'a fait chuter, c'est l'afflux de sang dans mon cerveau qui m'a déconcentré. C'est cette putain d''coke qui perce les veines de mon nez. Fait chier. C'est pas la drogue qui me dégoutte à ce point, c'est ce sentiment de perte, cette incapacité que j'ai contracté à retenir ce à quoi je tiens. Luz, Sara et maintenant même l'océan revient me claquer ma déchéance à la gueule. Pourtant je suis bon. Vraiment bon, j'le sais. Avant la mort de Luz j'étais bien parti pour passer pro. J'regrette rien, c'est pas ça, parce que pro, c'est sympa mais j'me vois pas comme ça, non c'est plus le sentiment d'échec qui me tue. Celle qui voulait passer pro c'était Luz. Et moi comme un con j'lui ai rien montré. J'ai pas su lui transmettre ce que j'avais appris. La liberté, ce sentiment qui vous vrille les tripes quand vous êtes là, minuscule petite brindille ballottée par l'océan, misérable insecte glissant gracieusement entre des vagues de plus de dix mètres, seul dans l'immensité bleue. C'est mieux qu'la drogue, mieux qu'le sexe, mieux qu'la mort elle-même. Mais depuis la mort de ma petite sœur, je sens cette liberté m'échapper, l'océan me fuis. Ou peut être est-ce moi qui le fuis. Je me jette sur ces vagues avec la violence du désespoir, à la recherche de ce sentiment de plénitude passée. Cette sensation d'être exactement là où je devrais être, je l'ai perdu. Alors j'envoie une nouvelle bière dans mon gosier, à défaut d'une trace dans l'nez. J'avance de ce pas incertain, la tête chamboulée par les éléments, le cœur sanglant, sur le point de craquer. Sara. Encore Sara. Sara qui me manque. Notre amour me manque, cet amour que je sent se craqueler lentement comme une fine pellicule de peau sur une casserole de lait. Je devrais manger. Mon cerveau embrumé ne me permet pas de réfléchir correctement, qu'est-ce que je fais là déjà ? Merde j'ai encore oublié, fait chier. Envie d'gerber. Marcher jusqu'au feu, se réchauffer. Dormir peut-être. Une silhouette. D'un geste plutôt lent je m'assieds, attrapant une serviette pour la coller sous mon nez, éponger le sang. Je lève les yeux vers le jeune homme en face de moi, Oscar, mon ami, mon frère d'élection. Quand je le vois comme ça j'hésite toujours entre foutre le camp ou le serrer dans mes bras, parce qu'il a ce regard, cet air pénétrant qui semble voir tout ce que j'essaie de cacher. Tout ce noir qui me bouffe de l'intérieur, toute la crasse qui me ronge, cette merde dans laquelle je me suis englué. Oscar à qui je ne sais pas mentir. Je devrais lui parler. J'aimerais avoir les mots pour dire, pour raconter. Hurler ma détresse, pleurer ma peine, tout balancer sur le sable fin sous le sourire des étoiles qui nous observent, jeter ma haine et mon dégoût, vomir toute cette incompréhension, cette injustice, ouvrir les volets et jeter mon passé par la fenêtre. Ouai, j'aimerais. Au lieu de quoi je baisse les yeux, attrape un clope et sans un regard je me tends ma main égratignée dans sa direction « t'as du feu man ? » Merde, encore raté. Pourtant c'est pas bien compliqué.