"PASSÉ"

Originaire d’une petite ville de Nouvelle-Zelande, j’avais emménagé à Auckland pour suivre des études de médecine. C’était le rêve de mes parents, de voir leur plus jeune fils faire une grande carrière, comme tous les autres, mais très certainement pas le mien. En fait, je n’avais pas réellement de but dans la vie, à cette époque. J’aimais faire la fête, aller surfer, … cette sensation d’être libre de faire ce que bon me semblait, quand je le voulais. Mais chaque appel de ma mère était comme un rappel à l’ordre. Sauf qu’il vint un jour, où je ne répondis plus à ses appels, ni à ceux de qui que ce soit dans mon entourage. « Ecoutes Jon, tu sais que je t’aime bien, mais je ne peux pas continuer de te fournir gratuitement. Il va falloir passer à la caisse mon pote… Et vite. » Devenu accro au fil de soirées de débauches, une bonne partie de ma bourse passait dans ma consommation de cette poudre blanche aux effets très agréables. Mais vint un moment où ma consommation fut plus importante que mes moyens pour l’assouvir. « J’ai peut-être un moyen pour t’aider. Mais il faut que je puisse te faire confiance. » J’étais devenu une épave, j’avais foutu mes chances de devenir médecin en l’air, j’avais coupé les ponts avec ma famille, et je me retrouvais endetté jusqu’au cou. Il ne me restait plus que ça, cette chance que j’allais saisir pour m’en sortir. Je n’avais aucune idée d’où cela me mènerait, mais au point où j’en étais… Quelques jours plus tard, je dealais pour un grand trafiquant sur le campus. Quelques mois plus tard, j’abandonnais définitivement mes études et m’embarquais dans de plus gros coups. Ami avec le fils du patron, je devenais de plus en plus proche du reste de la famille, et surtout avec la sœur de celui-ci. Grace à elle, pour ses beaux yeux, je passais du consommateur et revendeur, au simple revendeur. Elle était celle qui m’avait remis sur le droit chemin, ou du moins, en partie. Sans la drogue, j’étais plus violent, on me confiait plus de tâches importantes et je me retrouvais mêler à de très mauvais coups. Je faisais des choses impardonnables, qui avec le temps, devenaient une routine. Tout ça pour l’argent et pour rester en vie.

"PRÉSENT"

La sensation était la même qu’une bouffée d’oxygène après plusieurs minutes à retenir son souffle sous l’eau, sauf qu’il ne s’agissait pas de minutes dans mon cas, mais d’années. Quatre ans derrière les barreaux avant de pouvoir à nouveau respirer un air qui me semblait moins toxique que celui de la prison, sentir la chaleur du soleil sur mon visage sans avoir l’impression de brûler sur place, marcher librement dans les rues d’Auckland sans gardes pour surveiller vos moindres faits et gestes. Les choses paraissaient plus belles, plus agréables, après en avoir été privé tout ce temps. Tout ce qui n’avait pas changé, c’était l’odeur enivrante de son parfum lorsque mes lèvres se posaient dans son cou, la douceur de sa peau quand ma main glissait le long de son bras dénudé, ou encore son sale caractère diablement sexy lorsque je faisais quelque chose qui la dérangeait. Elle se tourna et me repoussa violemment, les yeux écarquillés comme si elle venait de voir un fantôme. « Jon ?! Mais bordel, qu’est-ce que tu fous ici ? » Mon sourire se dissipa rapidement, alors que j’haussais les sourcils en signe d’incompréhension. Ce n’était pas vraiment la réaction à laquelle je m’attendais pour nos retrouvailles. « Waw ! Quel accueil… » Je me doutais bien que je n’aurais pas le droit à une banderole "welcome home" ou encore à un comité qui m’accueillerait à bras ouverts. Mais je pensais qu’elle serait heureuse de me revoir, malgré le fait que j’étais dehors parce que j’avais fait enfermer son père à ma place. Amy et moi, une longue histoire… « Excuse-moi… » Dit-elle en baissant les yeux sur le sol avant de me prendre dans ses bras et de déposer un baiser sur mes lèvres. « … Tu ne devrais simplement pas être ici. C’est trop risqué. Si les hommes de mon père apprennent que tu es là, ils te tueront. » Son visage entre mes mains, je retrouvais un mince sourire. Ces quatre années avaient duré une éternité à mes yeux et je me plaisais à nouveau à observer chaque trait de son visage. Je me perdais dans son regard bleuté, laissant un court silence avant de répondre. « Il fallait que je te vois. Peu importe le prix à payer… Tu m’as tellement manqué. » Mes lèvres scellées aux siennes, j’aurais aimé l’embrasser encore et encore. Mais elle me regardait à nouveau, une nouvelle question à la bouche. « Qu’est-ce qui t’as pris de t’en prendre à mon père ? » Je mettais davantage de distance entre nous, rompant tout contact et évitant son regard. Je connaissais le père d’Amy depuis plus longtemps que je la connaissais, elle. C’est en travaillant pour lui, que j’avais fini en prison pour trafic de drogue. Mais c’est aussi en travaillant pour lui, que j’avais rencontré sa magnifique et unique fille. Il n’avait jamais approuvé notre relation. Allez savoir pourquoi, il la voyait plus avec un médecin ou un avocat. Il nous avait fait vivre l’enfer, ne cessant de s’interposer entre nous. Il aimait sa fille plus que tout, elle était tout ce qui lui restait, mais lorsqu’il s’agissait d’elle, il pouvait devenir réellement terrifiant. Amy commençait à avoir peur de lui, ça se lisait dans son regard à chaque fois qu’on faisait allusion à lui. Je savais donc qu’elle ne m’en voudrait pas si je l’envoyais derrière les barreaux.  « Les fédéraux ont débarqué du jour au lendemain, me demandant de choisir entre lui et toi… Si je ne témoignais pas contre lui, ils s’en prenaient à toi. Le choix n’a pas été compliqué. » En plus d’éviter la prison à Amy, j’obtenais ma carte pour en sortir moi-même. A première vue, cela pouvait ressembler à un cadeau de Noël en avance et c’était un peu comme ça que je le prenais. Mais c’était surtout signer mon arrêt de mort. Je savais que les hommes du plus gros trafiquant de Nouvelle-Zélande viendraient pour moi, mais je n’étais pas du genre facilement effrayé, surtout lorsqu’il s’agissait d’Amy et de son bien-être. J’étais simplement fou d’elle, j’aurais fait n’importe quoi pour elle. « Tu dois partir… Tu ne peux pas rester là… Je ne supporterais pas de te perdre ! » Ses yeux devinrent humides, ses mains se mirent à trembler. Je la pris dans mes bras, la serrant doucement contre moi, déposant des baisers sur sa tête. « Je ne partirais pas sans toi. » Lui chuchotais-je au creux de l’oreille.

"FUTUR"

« Tu devrais laisser cette fille tranquille. » Je relevais les yeux de mon portable, fronçant les sourcils, pas sûr d’avoir bien compris ce que mon meilleur ami venait de me dire. « Fais pas cette tête, t’as très bien compris. C’est à elle que t’écris, non ?! » Elle, c’était Elina. Je l’avais rencontré sur la route entre Perth et Sydney, alors que j’avais entrepris de faire une partie du chemin à pied. La chaleur était dense et la route sans fin. Il n’y avait rien à des centaines de kilomètres à la ronde et les voitures se faisaient de plus en plus rares. Le comble, c’est qu’après qu’elle m’ait sorti de cette fournaise, je l’avais traité d’inconsciente, pour oser prendre un inconnu sur le bord de la route. Surement parce que j’avais très vite commencé à l’apprécier. Mon côté protecteur avait donc refait surface. Elle était à la fois simple, douce et un peu rêveuse, mais elle avait aussi un caractère bien trempé qui la rendait d’autant plus charmante. L’espace d’un instant, je cru avoir affaire à un fantôme, celui de ma Amy. Physiquement, il n’y avait aucune ressemblance, mais elles étaient presque semblables dans leur façon d’être et de penser. C’est sans doute ce sentiment de déjà vu qui me rendit un peu plus bavard qu’à l’habitude. Je n’étais pas très sociable en général, mais avec elle, je l’avais peut-être été un peu trop.  « Je ne peux pas. » Lui répondis-je en poussant un léger soupir. « Pourquoi ça ?... Ah oui, c’est vrai ! Parce que t’as été capable de lui faire croire que TOI, tu es manager, alors que tu n’y connais rien du tout en musique. Tu lui as donné de faux espoirs en lui faisant croire que tu allais l’aider à percer. T’as vraiment été un bel enfoiré sur ce coup-là ! » Je baissais les yeux, bien obligé d’admettre qu’il avait raison. J’avais merdé sur ce coup-là, mais je ne pouvais pas me contenter de couper les ponts ainsi. Elina était une fille bien, j’étais incapable de la laisser tomber, peut-être parce que je m’étais attaché à elle aussi. « Je vais l’aider. » Dis-je en relevant la tête vers mon meilleur ami. « Comment ? Tu n’es rien dans ce monde-là ! Et est-ce que je dois te rappeler ce qui est arrivé à la dernière femme qui t’a fait confiance ? Ouvres les yeux… Ils tueront chaque personne qui compte un tant soit peu pour toi. Alors si tu tiens à cette fille, éloigne-toi d’elle. Ne risque pas sa vie pour tenir cette stupide promesse que tu lui as faite. Crois-moi, elle s’en remettra. » Un long silence suivi les paroles de celui qui était comme un frère pour moi. Nous nous regardions droit dans les yeux, n’importe qui d’autre aurait osé faire allusion à Amy en ce moment, aurait vu ma colère s’abattre sur lui. Mais il ne s’agissait pas de n’importe qui. Peu importe si ses paroles me blessaient, je savais pertinemment qu’il avait raison. Il était le plus sage de nous deux, celui qui avait réussi dans la vie, je ne pouvais remettre sa parole en question, surtout qu’il me connaissait mieux que personne. Peut-être même mieux que moi-même, car en ce moment, je n’avais pas les idées claires. L’envie de vengeance était tout ce qui me gardait encore en vie. « Ils te tueront aussi. » Un léger sourire se peint sur les lèvres de mon meilleur ami. « Peut-être bien. Mais moi je l’ai choisi. »