Appartement de Dante G. Burrows, 22h 03.
Priam se tenait devant sa porte, ses pieds tapotant son paillasson comme pour montrer sa gène. Son point levé, il hésitait et pourtant il avait les bras chargés. C'était lourd, brulant et pas vraiment agréable comme position. Mais, on était le 31 décembre et il venait frapper à la porte du grand blond. Depuis, que soudainement ils ne se croisaient plus en soirée, que Dante était mystérieusement absent ou trop occupé. Priam s’inquiétait tout simplement. Au fond de lui, il savait ce qui le travaillait, c'était l'absence de leurs moments, de ces tentatives stupides de tirer un sourire à son ami. Mais, aussi les grognements de Dante et son air d'ours mal léché. Priam termina par frapper violemment contre la porte. Après quelques craquements du parquet, plus aucun doute possible. " Hey, je t'entends, le vieux. Je peux attendre toute la nuit. Je suis jeune et j'ai de la bouffe et j'ai envie de pisser, je me soulagerais contre ta porte, cela te va ?" Priam avait compris que pour faire bouger Dante, il devait le défier. C'était leurs jeux. Ce petit surnom alors qu'il lui en donnait un aussi. Quand ils étaient ensemble ils n'arrêtaient pas de se chercher. Souvent les amis de Priam les avaient traités de "Petit Couple". L'étudiant en riait, sa mésaventure avec Eric était loin et il ne se sentait pas du tout menacé. Il connaissait un bon nombre d'homosexuels.

Pour Priam on pouvait rire de tout, surtout si c'était drôle. Même, si personnellement, il s'était toujours vu comme un duo avec Dante. Cette alchimie. Ce courant électrique à chaque fois qu'ils étaient dans la même pièce. Le garçon n'avait jamais ressenti cela. C'était à la fois si grisant et si effrayant. Mais, pas vraiment le temps de s’apitoyer sur lui-même. Il commençait à connaître son grand blond et il savait qu'il ne sortirait pas en ce soir de réveillon. Il portait quelque chose de trop lourd pour être heureux même une nuit. Alors, quand la porte s'ouvrit surement pour lui dire de déguerpir. Priam ne lui laissa pas le temps de parler. " Chut ! C'est chaud ! Cela me brûle les bras, pousse-toi !" Il lui donna un méchant coup de coude pour se frayer un chemin. Il n'osa pas croiser son regard de peur de faire machine arrière. Mais, qu'est ce qu'il faisait là ? Lui, qui avait dix-milles propo' pour ce soir ! Qui pourrait se soûler la gueule et embrasser toutes les filles et cela alors qu'il n'était même pas encore minuit. Il ne comprenait pas, mais cela ne l'empêcha pas d'avancer et de déposer les plats de sa mère qu'il avait subtilisé sur la table de la cuisine. " Alors, j'ai cuisse de dinde, purée de pomme de terre pour toi. Et, si tu es sage, tu auras même du dessert. Tu comprends, j'ai dit que j'allais me lancer dans le social. C'était ça ou les SDF ce soir. J'ai choisi toi ! Car, je suppose que tu allais faire un repas à la bière, je me trompe ?" lança t-il avec une certaine amertume. Priam ne lui avait toujours pas pardonné son silence radio de presque un mois.

Priam leva les yeux au plafond en regardant Dante retomber dans son canapé la bière à la main. A la forme dans le canapé, le grand blond ne semblait pas avoir quitté sa place depuis des heures. L'étudiant soupira un instant, cherchant à comprendre pourquoi tout cela le remuait et surtout pourquoi il s'en préoccupait autant ? Heureusement, la petite pique du trentenaire lui remit les pieds sur terre. Il esquissa un léger sourire en croisant de lune car il avait toujours vu leurs échanges comme une joute. Se renvoyer la balle, plaisanter et surtout faire mouche. « Vu l'odeur ici, je pense que je perds pas au change. Tu sais il faut faire des lessives de temps en temps. Les slips sales cela n'attire pas la femelle. » Il fixa l'arrière de la nuque du propriétaire des lieux avec un regard plein de malice au cas s'il arrivait à attirer son attention. Mais, bien-sûr que cela sentait pas mauvais chez Burrows. Peut-être un peu le renfermé et l'appartement d'homme célibataire ? Cependant, Priam savait qu'en titillant l'égo et l’hygiène de son ami, il arriverait peut-être à le tirer de cette morosité car c'est tout ce qu'il voulait ici. Qu'est ce qu'il avait envie de le secouer et le vider de cette énergie négative.

« Je fais le tour des vieux du quartier. Je change une poche d'urine là, j'aide à installer une jambe artificielle ici. Et, si tu répondais à mes messages, tu aurais pu savoir que je passerais. » Priam se moquait du regard cinglant de Dante. Il en avait l'habitude. Ils se souvenaient de leurs premières rencontres comme ils avaient faillit se taper dessus. Il en a fallu des verres et des soirées pour que l'étudiant comprenne que derrière cette colère il avait une blessure. Il n'avait jamais interrogé Burrows sur celle-ci, mais elle était aussi visible que s'il se l'avait faite tatoué sur le front. Celle-ci agissait comme un aimant. Priam n'était pas du genre à s'impliquer avec les hommes de son entourage, surtout avec un homme qui avait dix ans de plus que lui. Mais, dans sa cuisine entrain d'ouvrir les barquettes en aluminium, il n'avait tout simplement pas envie de partir. C'était un sentiment si étrange...

Priam n'écouta donc que d'une oreille les tentatives de Dante de lui faire prendre la porte. Il préféra sortir une assiette et lui remplit avec une cuisse de dinde et une énorme platée de purée. Sa mère était peut-être une grenouille de bénitier mais elle était aussi une excellente cuisinière, son ami allait vite le découvrir. « Qui t'a dit que j'allais rester ? Je passe juste. Je veux pas que tu meurs de faim c'est tout. T'inquiète, il y a plein de filles soûles qui m'attendent dehors, je louperais cela pour rien au monde. » Priam se rapprocha, chassa de la main le repas aux gâteaux apéritifs de son grand blond et déposa l'assiette devant lui. Il alla ensuite à la pèche aux couverts et se jeta à son tour dans le canapé. Priam commença à fixer Dante avec un petit sourire narquois. Il n'allait pas le lâcher alors Dante pouvait jouer au dur autant qu'il voulait, il l'aurait à l’usure, comme d'habitude. Est-ce que Burrows se souvenait comment il avait réussi à s'inviter la première fois chez lui ? Des soirées et des tonnes de messages à le soûler pour qu'il cède enfin. Priam obtenait toujours ce qu'il voulait ! C'était à la fois une qualité et son plus grand défaut.

 

Choisir de passer le réveillon du nouvel an seul n'avait pas été difficile pour Dante. Ce dernier considérait qu'il avait fait sa BA de l'année en se rendant au repas de famille que ses parents avaient organisé à l'occasion de Noël ! Et puis, ce n'était pas du tout la même ambiance et même si le blond était certainement dans un meilleur état d'esprit que l'année d'avant, il n'avait toujours pas le goût à la fête. Non, il allait simplement rester réveillé jusqu'à minuit et il irait tranquillement aller se coucher. Rien de bien passionnant pour un jeune homme de 35 ans, célibataire. Quand il y repense, il se moquait souvent de ce genre de comportement, ne comprenant pas comment des gens pouvaient rester ainsi mais maintenant qu'il était dans leurs baskets, il avait un tout autre point de vue sur la question. Malheureusement pour Burrows, quelque chose ou plutôt quelqu'un en avait décidé autrement. Dire qu'il était surpris de la présence de Priam sur son palier serait un euphémisme, il pensait que le gamin aurait compris le message à force de messages sur le répondeur et de sms laissés sans réponse. Mais non, il était là et il venait de s'inviter chez lui. Grincheux, Dante n'était pas en état de se battre. Il trouvait rafraîchissant les moments passés ensemble, il avait l'impression de redevenir un adolescent insouciant mais depuis que son psy lui avait fait voir ce qu'il pouvait y avoir sous cette pseudo relation, le blond y avait mis fin.

Pas décidé pour autant à enfiler son costume pour faire la fête, Burrows usa de sa salive pour tenter de faire partir Priam. Plus facile à dire qu'à faire, ce gamin pouvait se montrer plus collant qu'une sangsue et ce soir, il semblait avoir décidé qu'il camperait ici. « Ah ouais ? Et qu'est ce que t'y connais à la lessive, Monsieur je vis toujours chez papa et maman ! Quand j'avais ton âge, j'avais arrêté de porter des couches, je me rasais et je suis partie à l'autre bout de la planète alors ton sarcasme, tu peux le remballer et le ramener avec toi...» Peut-être y allait-il trop fort ? Il n'en savait rien. Priam ne semblait pas comprendre le message et il continuait de revenir à chaque fois. Parfois, c'était Dante qui prenait l'initiative, à sa grande surprise. Il avait dû mal à le reconnaître mais d'une certaine manière, ce gamin avait fait son trou dans sa vie et le trou devenait beaucoup trop grand à son goût... Reniflant avec dédain, alors qu'il finissait sa bière, il haussa les épaules. « Tu sais gamin, un être normalement constitué aurait compris que si on ne répond pas au message, c'est qu'on a pas envie de voir cette personne !»

Mais c'était comme parler à un mur. Plus entêté, tu meurs et c'était déjà ce trait de caractère qui avait fait qu'ils se soient rapprochés. Dante pensait être têtu mais c'était rien à côté de Priam. Parce qu'en plus d'être borné, il était aussi chiant et puéril ! Deux traits de caractère qui tapaient sur le système de l'ancien agent de la CIA. Si parfois, il trouvait ça divertissant, ce soir, il voulait simplement être en paix. L'observant s'atteler dans la cuisine, il secoua la tête exaspéré. Il n'arriverait pas à s'en débarrasser, il n'en avait même pas le courage. Le voyant revenir, il ronchonna alors que les gâteaux apéritifs disparaissaient de ses mains. A la place vînt une assiette chaude dont l'odeur lui donnait envie. Une fourchette et un couteau ne tardèrent pas à apparaître et il vit le brun s'installer à côté de lui, satisfait. « T'es le mec le plus collant de la planète, tu le sais au moins ? Comment font tes parents pour te supporter ?» Malgré tout, une esquisse de sourire s'installa sur son visage qui disparût aussi vite qu'il n'était arrivé. Il était hors de question qu'il montre à Priam qu'il était heureux en sa présence. Il devait l'éloigner de lui, il était toxique pour lui autant qu'il le serait pour lui en échange. Il y avait trop d'années de différence entre eux pour qu'il ne puisse y avoir une réelle relation - quel qu’elle soit - entre eux. Hésitant, il attrapa la fourchette et avala une bouchée de la purée. C'était délicieux, il ne pouvait pas le nier. « Bon, si je promets que je vais manger ton assiette, tu te casses ? Tu devrais être avec tes potes en train de chasser la gazelle comme des petits lionceaux que vous êtes... Enfin, pour toi, je t'aurais plutôt vu chasser le gnou mais bon...» Dante avait de suite senti que le brun avait un problème avec sa sexualité. Était-ce à cause de leur rapprochement ? De son côté tactile envers lui ? Ou simplement sa façon d'insister qu'il trouvait les femmes à son goût ? Quoiqu'il en soit, Burrows avait une théorie là dessus. Il était passé par là, à une époque, bien avant TJ ! Il donnerait n'importe quoi pour y retourner d'ailleurs ! Tout était plus facile quand il avait l'âge de Priam. Alors, en monnaie d'échange, il essayait de l'aider en glissant certaines allusions parfois, pour voir sa réaction. Pour le moment, les résultats étaient quasi inexistants.

Dante le blessa, mais c'était le but, il commençait à assez connaître son grand ami blond. Chaque mots et surtout leurs arrières goûts acerbes restèrent bloquer dans le fond de sa trachée. Priam était un impulsif et il aurait été facile de monter sur le ring et d'enfiler les gants. Il ne se gênait pas en règle générale. Il ne laissait rien passer et n'abandonnait rien. Ce soir, il avait pourtant quelque chose de différent dans l'air, peut-être que Burrows ne pouvait le ressentir, mais côtoyer son grand ours mal léché lui avait manqué. Ce manque qui était lentement comblé maintenant, comme un réservoir d'une voiture, faisait palpiter quelque chose à l'intérieur de son ventre. Priam chercha un instant ce sentiment. Oui, c'était cela. Il était heureux. Alors, les piques virulentes du trentenaire volèrent au-dessus de son crâne. Il préféra les prendre avec le sourire et ainsi essayer de désamorcer ce qu'il avait lui-même commencé. Son ami voulait le voir disparaître, mais il allait être déçu, il ne bougerait pas.

Tournant la tête, il passa derrière son jogging et tira sur l'élastique un instant. « Ah, merde, et moi qui pensait que mes couches ne se voyaient pas. C'est con. En parlant de ça, j'ai pas perdu ma tétine la dernière fois, tu l'aurais pas vu ? J'arrive pas à dormir sans. » Il relâcha l'élastique et afficha un air amusé, mais intérieurement les paroles de Dante continuaient de couler en lui. Il avait raison. Il n'avait rien vécu. Sa famille l'étouffait trop pour cela. Il en deviendrait asthmatique s'il n'arrivait pas à se dérober de leurs surveillances, comme ce soir. Mais, les paroles et le dédain de Dante calma aussitôt son engouement. Priam ne montrait rien, mais entendre Dante dire qu'il n'avait pas envie de le voir égratigna quelque chose en lui, comme des ongles griffant un mur. « Arrête, je vais pleurer. Tu sais que faire ton faux méchant cela marche pas avec moi. » Priam se fit cinglant l'espace d'un instant. Il croisa ses grands yeux bleus et lui faire comprendre qu'il le connaissait bien plus qu'il ne l'aurait pensé. Il avait bien compris que Dante ne voulait pas le voir, mais il avait une raison et il était ce soir pour découvrir laquelle.

C'est pour cela qu'il s'était installé de lui même à côté de son grand blond, lui avait servi une assiette et même mis dans les mains des couverts pour qu'il puisse attaquer avant que cela refroidisse. Le fumet appréciable se mit à remplir le salon et Priam espérait que celui-ci donnerait faim au propriétaire des lieux. « Ma mère prie beaucoup. Tu devrais peut-être t'y mettre, dieu te débarrassera peut-être de moi. Mais, je te conseille de ne pas trop y compter. Je ne vais plus qu'à l'église pour faire plaisir à mes parents. Je suis peut-être l'anti-christ ? » Priam afficha son sourire le plus démoniaque espérant tirer un sourire ou une réaction chez son voisin. Plaisanter sur la religion ne le dérangeait pas tant que ses parents n'étaient pas au courant. Les bras contre le torse et les pieds sur la table basse de son ami, le jeune homme était heureux de voir Dante manger. Lui, n'avait pas peur de montrer son plus grand sourire. Tout ce bonheur qu'il avait d'être avec Dante. Mais, tout cela fut chassé à la dernière réplique de celui-ci. Le « gnou » ? Priam se gratta le haut du crâne. Pas prêt à affronter son attirance pour les hommes, il n'entendit que ce qu'il voulait entendre. Après tout, chez les gnous il avait aussi des femelles. « Qu'est ce que tu essayes d'insinuer ? Que je chasse que des moches ? Tu as vu le morceau ? » Priam leva son sweat-shirt et découvrit ses abdominaux parfaitement taillés et alignés. « Qui dirait non à ça ? Pfff ! Déjà, toi tu n'y connais rien, tu es pire qu'un prêtre ou un eunuque. » Un corps de rêve musclé à souhait où une fine ligne verticale brune traversait son nombril pour disparaître sous sa la ceinture de son bas de pantalon.

Le crédo "Ça rentre par une oreille et ça ressort par l'autre" correspondait parfaitement à Priam. Dante détestait être aussi faible face à lui, face à cette bouille de gamin. Parce qu'il avait encore l'air d'un gamin dans son esprit, malgré qu'il clame haut et fort qu'il était majeur et vacciné. De ce qu'il savait, il n'avait pas encore quitté les jupes de sa mère... Levant les yeux au ciel devant les répliques puériles du gamin, il secoua la tête et ne répondit pas. Il savait très bien à quoi jouait Priam, il avait fini par comprendre la tactique d'approche du brun. Il racontait une quantité mirobolante de conneries à la seconde juste pour détendre l'atmosphère, Dante finissait inévitablement par sourire et le tour était joué ! Mais pas ce soir, ce soir, il avait décidé de faire la gueule et il n'allait pas se laisser faire par un gamin de vingt deux ans. « Si je voulais te faire pleurer, tu serais déjà en train de te déshydrater... » Dante avait suivi un entraînement spécial pour devenir agent de la CIA et il connaissait pas mal de technique pour faire parler les gens ! Par technique, il voulait bien entendu dire tortures...

Un repas chaud entre les mains, Dante hésita quelques secondes. Si ça avait été n'importe quel autre personne qui lui aurait apporté ça, il l'aurait très certainement foutu à la poubelle illico presto mais là encore, Priam semblait avoir un certain pouvoir sur lui. Et ça le tuait... Comment ce petit merdeux pouvait avoir une telle influence ? Au fond, il le savait mais il était hors de question qu'il l'accepte. Il avait mis de la distance pour une raison et ce gamin était pire qu'un boomerang. « Si tu étais l'anté-Christ, tu ne pourrais pas rentrer dans une église... Même moi qui suis athée, je le sais ! Tes parents ont déjà loupé ton éducation mais en plus, ils ont loupé ton éducation religieuse ! Ta mère ferait bien d'aller mettre un cierge à la basilique Saint Pierre, parce que là, t'es un cas désespéré... » Les paroles pouvaient paraître vexantes mais le sourire qu'il avait sur les lèvres trahissait sa tentative d'humour. Commençant à manger, il se rendit compte que Priam était en train de gagner, comme à chaque fois.

Bien décidé à retourner la situation, il s'était jeté sur la première brèche venue, l'orientation sexuelle du brun. Priam, parfait hétéro selon ses dires, se vantait à tout va de ses conquêtes. C'était quelque chose que Dante avait décidé de faire lorsqu'il avait compris qu'il ne pourrait pas se débarrasser du gamin. Il avait envie de lui ouvrir les yeux sur son attirance pour les mecs. Il l'avait déjà vu observer des mâles dans la rue, sans même qu'il s'en rende compte. Et si sa métaphore avait fait mouche, Priam se garda bien de le montrer, préférant se ridiculiser en faisant celui qui n'avait rien compris plutôt que d'assumer. Prêt à répondre, Dante s'arrêta dans son élan, la fourchette suspendue à quelques centimètres de ses lèvres. Bordel, comment ce gamin pouvait avoir un corps pareil ? Dante avait rarement vu des abdominaux aussi dessinés chez quelqu'un et il détourna rapidement les yeux. Ce gamin était un démon, il n'y avait pas d'autres explications. « Personne je suppose... Mais bon, à moins que tu te trimballes en caleçon dans la rue, la seule chose que les gens voient c'est ta tête de bambin pleurnicheur... » Une tête qu'il avait appris à apprécier. Se renfrognant un peu, il trouva un intérêt tout particulier au mur d'en face pour calmer ses ardeurs. Certes il était encore en plein deuil mais il n'était pas mort. C'était encore un homme avec des besoins et des envies. Il n'était pas resté deux ans, sans rien faire, c'est juste qu'il ne laissait jamais les gens s'approcher de trop près. Priam étant, une fois encore, l'exception qui confirmait la règle. « Je suis peut-être un prêtre mais au moins, je ne fuis pas qui je suis... Pas comme un certain gamin fouineur et collant que je connais !» Si les allusions ne marchaient pas, il allait voir comment il réagirait face à la provocation. « Je me demandais, qu'est ce que tu sais de moi ? A part que je suis un prêtre au mauvais caractère ? Pourquoi tu me colles comme ça ? » Posant sa fourchette, il fixa le brun, essayant de ne plus penser à ce qu'il avait vu quelques secondes auparavant. Il voulait le déstabiliser, le sortir de sa zone de confort. D'habitude, il menait la discussion et bien qu'il ne soit pas d'humeur, Dante faisait contre mauvaise fortune bon cœur ! Il ne pourrait pas se débarrasser de Priam à moins d'utiliser la force et ce n'était pas une option...

Priam ne savait rien du passé de Burrows. Il ne lui avait même pas donné quelque chose à se mettre sous la dent. Son trentenaire avait toujours détourné la conversation quand l'étudiant avait essayé de percer les mystères de ce qu'il avait pu faire dans la vie. Il n'aimait pas savoir et surtout pour un informaticien qui aime fouiner entre deux révisions. Bien sûr, il avait trouvé une biographie mais celle-ci était bien trop propre pour être honnête. Il n'y croyait pas un seul instant. Pour aimer fouiner, Priam ne connaissait que deux types de structures qui remodelaient ainsi le passé des gens. L'armée ou les services secrets. L'avertissement de Dante réveilla le jeune homme curieux qui s'interrogeait toujours. C'est qu'il n'avait pas abandonné. Il était même décidé à un jour lui prendre ses empreintes, mais pas ce soir. Mais, dans l’œil de Priam quelque chose s'alluma alors qu'il aurait du surement avoir peur. Car, il n'avait pas à fixer son trentenaire pour savoir qu'il n'y avait aucune plaisanterie de mauvais goût. « Ah, oui ? Et, tu as appris cela où ? Dans les forces spéciales ?» Priam à la place se mordit la lèvre, si curieux de tout savoir, ne laissant rien l'arrêter. Une vraie locomotive lançait à vive allure. L'étudiant ne semblait avoir peur de rien, ni de ses parents, ni dieu, seulement peut-être de soi-même ?

Priam n'était pas du tout sur la défensive suite aux paroles de Dante. Il le regarda plutôt au-dessus de son plat chaud, content que celui-ci n'est pas volé à travers la pièce. Cela énervait peut-être Burrows, mais il le connaissait, il reconnaissait ce léger sourire. Que le jeu était à nouveau à l’œuvre. Et, l'étudiant était bien décidé à jouer et à ne laisser aucune seconde de répit à son adversaire. « Qu'est ce que tu en sais ? Tu m'as déjà vu rentré dans une église ? Qu'est ce que tu sais de moi ? Rien ! Je suis peut-être pas là pour te donner à manger, mais pour ton âme ?» Le jeune garçon baissa sa tête et agita ses doigts comme Palpatine, le grand seigneur Sith dans Star Wars, l'une de ses trilogies préférées. Et, puis, comme cela, comme une brise qui se lève, car Priam n'aimait pas rester sérieux. La vie l'était déjà assez pour lui. Il se releva et ajouta en époussetant l'épaule du propriétaire des lieux. « Non, mais rassure-toi. C'est la crise, mais on fait pas encore dans les vieux barbu qui font tout le temps la gueule. » Comme un gamin, car c'est ce qu'il était encore parfois, il agita sa tête à droite et à gauche, tellement content de sa bêtise. En même temps, s'il devait attendre Dante pour le féliciter, il pouvait attendre longtemps.

Priam regardait les hommes et cela à son grand désarroi, car une force en lui continuait de lutter pour qu'il reste dans son aveuglement. Mais, plus il refoulait ses pulsions et plus celles-ci l'attaquaient. Il se réveillait en pleine nuit trempé comme un adolescent par des rêves érotiques avec des hommes. Son anatomie se réveillait dans les douches des vestiaires après ses entrainements alors que ses camarades n'étaient pas loin. Mais, dans son cerveau tout cela passait directement dans une casse : « c'est normal ». Priam se leva comme si son subconscient le préparait à déjà fuit cette conversation. « Mais, tu racontes quoi ? Tu es bourré ou quoi ? Et, je fuis quoi d'après toi à part ton odeur de fennec ? » Le ton était monté. Comme ça. Une vague avait effacée tous les sourires et les bonnes intentions de l'étudiant. Son regard n'était pas furieux, juste fuyant comme s'il le suppliait de ne pas répondre à ses questions. Il ne voulait pas l'entendre. Priam n'avait eu aucun entrainement à la CIA.Dante arrivait parfaitement à ses fins. Il voulait le faire fuir. Il était entrain. « Moi, je te colle ? C'est l’hôpital qui se fout de la charité ! Qui tient absolument à me ramener quand on se quitte alors que j'habite en banlieue  ? Qui tient à me payer un verre après nos concerts et parler avec moi pendant des heures ? Qui a dit que cela serait sympa de se faire un trip camping sauvage à deux entre vrais mecs quand je l'ai proposé ? » Priam pesta avec dégout. Il ne reconnaissait plus l'homme avec lequel il avait trainé ces derniers mois. Mais, en même temps, c'était tellement plus facile de fuir. Il se dirigea vers la cuisine pour récupérer sa veste tout en maugréant dans sa barbe.

Il en avait trop dit et c'était en train de lui retomber sur le coin de la tronche. Il savait pourtant qu'il ne suffisait d'un rien pour que ce gamin s'engouffre mais ça avait été plus fort que lui. Priam était un véritable manipulateur et même s'il n'utilisait ce don que pour des choses aussi futiles que ça, Dante le haïssait pour ça. Enfin, il ne pourrait jamais vraiment le haïr. Comment haïr un gamin avec une bouille pareille ? Mais là, alors qu'il reconnaissait l'étincelle dans les yeux du brun, il le maudissait. Détournant les yeux, trouvant un intérêt soudain au poulet qui traînait dans son assiette, il sentait les yeux de l'étudiant le transpercer. Il ne lâcherait pas, il le savait... Bordel, il allait devoir prendre des cours pour résister à ça. Parce qu'il savait qu'il en faudrait plus pour se débarrasser complètement de Priam. S'il était capable de supporter sa mauvaise humeur quotidienne, rien ne pourrait le faire ! « Si on veut... » Restant vague par intérêt, il continua à manger comme si de rien n'était. Priam n'en saurait pas plus ce soir, quoiqu'il fasse. Heureux de voir la conversation diverger vers un autre sujet, le sourire qu'il avait tenté de masquer s'agrandissait au fur et à mesure des conneries que débitait le jeune musicien. Comment pouvait-on raconter autant de conneries à la minute ? Il n'en avait aucune idée...

Haussant les épaules, il jeta un regard au brun. Si les choses avaient été différentes, il serait sûrement tombé amoureux de lui. Avec dix ans de moins et son passé aussi. Là, c'était tout bonnement impossible, quoiqu'en dise son maudit thérapeute. Sur la défensive depuis que Priam avait décidé de s'inviter, Dante passa à l'attaque. Et il n'y allait pas par quatre chemins... Il allait sûrement trop vite d'ailleurs, quand il vit la réaction du brun. Le ton n'était plus à la rigolade et un sourire taquin apparût sur les lèvres de l'ancien agent. « Mais, c'est qu'il nous ferait une grosse colère le bébé ! Tu veux une fessée pour te calmer ? » Arquant un sourcil, il était amusé de voir avec quelle force il reniait ce qu'il était. S'il avait eu encore des doutes, ils s'étaient évaporés suite à ce spectacle. Le voyant se diriger vers la cuisine, il posa son assiette sur la table et se dirigea vers la porte d'entrée. « Déjà ? Mais on commençait seulement à s'amuser... J'ai dit quelque chose qui ne fallait pas ?» Son sourire narquois trahissait ses véritables attentions et il repensa à ses dernières paroles. Oui, il le ramenait, il lui offrait des verres et le trip camping l'avait emballé. Mais tout ça, c'était parce que... Parce qu'il l'aimait bien ! Sûrement trop pour qu'il ne l'accepte. Le voyant ouvrir la porte, il s'élança et la referma aussi sec. « Non, tu restes ici... Il est grand temps qu'on est une discussion toi et moi ! » Son ton ne laissait pas place à un quelconque refus. Il n'était ni agacé, ni amusé. Il savait ce que traversait Priam et avec la famille qu'il avait, il n'arriverait jamais à s'assumer. « Je sais que c'est dur, je suis passé par là aussi ! Mais tu n'as pas à avoir honte, jamais... Ce n'est pas un choix ! » Il omettait volontairement de mettre un nom sur le "problème" pour ne pas le brusque davantage. Passant une main dans les cheveux de l'étudiant, il se mordit la lèvre. Il avait l'impression de se voir à son âge, lorsqu'il avait rencontré TJ... Ce dernier l'avait aidé à l'époque et là, c'était à son tour d'aider Priam. Avec la même issue ? Dante ne voulait même pas y penser...

Priam joua de ses sourcils très heureux d'arriver à déstabiliser le grand Burrows. Ce soir, était un grand soir car il avait eu une réponse. En tout cas, c'était une réponse pour lui. Vu la difficulté qu'il avait de sortir quelque chose de son trentenaire bourru, c'était ce soir un grand miracle. Est-ce que c'était son cadeau de noël en retard ? Notre étudiant sembla absent un instant, son cerveau carburant avec ce semblant d'information. Les forces spéciales donc ? Ou alors Dante le menait encore en bateau. En croisant son regard, il sembla établir les futurs scénarios des possibilités et cela l'enchantait, comme un enfant avec un nouveau jouet. « Merci. C'est tout ce que j'avais besoin de savoir.» Il regarda Dante manger et tapota de ses doigts sur ses genoux car il connaissait un de ses amis qui avait un algorithme pour pénétrer dans la base informatique militaire sans être détecté. Le jeune brun ne savait pas pourquoi Dante l’obsédait à ce point, même si au très-fond de son subconscient, entre les mensonges et les souvenirs écrans, il connaissait la réponse. Dante lui...

Il l’exaspérait ! Ne pouvant plus se détacher de cette colère froide qui n'était qu'un moyen de se protéger. Il secoua la tête devant ce sourire bien visé sur le visage de son grand blond. Il avait voulu jouer et il avait perdu. Son égo aussi était égratigné. C'était lui qui avait l'habitude de pousser Dante dans ses retranchements et non le contraire. Priam détestait ces rôles inversés. Il avait aimé avoir l'avantage et ici il n'avait plus rien à raccrocher, même sa contre-attaque suintait l'humiliation. « Le bébé il t'emmerde, Burrows !  Et, je suis sûr que tu kifferais me donner la fessée espèce de sale...» Priam se mordit lui-même la langue car même cette insulte brûlait ces neurones. L'entendre dans sa tête lui rappelait ce qu'il essayait de fuir, au propre comme au figuré, alors qu'il ramassait ses affaires pour partir. Il défia à nouveau ce sourire narquois qui l'avait très bien poussé jusqu'à là. « Bah, continue à t'amuser tout seul, tes conneries me font pas rire du tout.» L'espace d'un instant, l'étudiant fit un bon en arrière, il se revit face à Eric et à ses révélations. Il regrettait tellement sa réaction. Il avait perdu un ami ce soir là. Quand la porte se referma et qu'il faillit perdre un doigt dans sa fuite, Priam se retourna avec toute sa fureur vers Burrows. Il chassa la main de Dante dans ses cheveux et le repoussa violemment en arrière. « Putain ! Je ne suis pas...» Dante n'avait rien dit et le nom du "problème" n'avait jamais été évoqué. Mais, que cela sorte de la propre bouche de l'étudiant n'était-il pas un premier pas ? « Homo...Les hommes ne m'attirent pas du tout...Et, tu me m'attires pas du tout...» Deux mensonges pour le prix d'un. Des mensonges tellement libérateurs. Priam sentit comme si le monde entier venait de quitter ses épaules. Il poussa même un soupir de soulagement comme si son corps le remerciait d'enfin pousser hors de lui ce qu'il refoulait depuis trop longtemps.