Dans ta petite chambre d'étudiante, tu ranges tes valises. Depuis que t'es arrivée, quelques jours. Tu a passé tes journées dans les rues de Sydney. Ça te fascine d'être ici, toute seule en plus. Tu te sens adulte comme pas deux. Alors t'as mis un peu de temps à défaire tes bagages. Mais à cœur vaillant rien d'impossible comme on dit.
Tu t'appuies contre la fenêtre de ton salon-cuisine-chambre-bureau. Le soleil tape plutôt fort, mais en vérité, il fait juste bon. Tu enfiles ton cardigan par dessus ta robe. Une robe en janvier, t'aurais jamais cru faire ça un jour. Tu attrapes ton sac, non sans y glisser un livre. Tu poses tes lunettes de soleil sur le bout de ton nez et tu files jusqu'à la plage.
Il te reste encore quelques jours avant de reprendre les cours, t'as envie d'en profiter. T'aimerais bien rencontrer des gens, aussi pourquoi pas. Tu te perds presque pas en allant jusqu'à la plage. T'es assez étonnée de voir qu'il n'y a pas beaucoup de monde, mais d'un coté ça t'arrange. T'aimes pas quand tout le monde est les uns sur les autres. Tu t’assois, tu lisses ta robe sur tes genoux et tu sors ton livre. Il se passe un long moment, sans que tu t'entendes plus rien. Comme toujours quand tu es plongée dans tes livres. Tu as tendance à oublier que le monde t'entoure.
Une ombre sur porte sur ton livre, de la forme d'une tête. Tu redresses la tienne, non sans grimacer à cause du soleil, dont t'as pas encore pris l'habitude, qui t'agresse à travers les verres de tes lunettes de soleil. Devant toi ce type un garçon, tu saurais pas lui donner un âge, parce que tu le vois à contre-jour, mais plus vieux que toi très certainement. Tu mets ta main en visière. « oui ? » tu demandes, poliment.

j’traîne sur la plage sans ma combi, juste en short de bain et t-shirt, les pieds dans l’eau, les ray-ban plantées au fond d’mon nez brisé, la clope au bec. rien que réfléchir, penser et apprécier le fracas de la mer contre les rochers et le bord de mer. me requinquer, me ressourcer et me vivifier par l’air salé, l’air marin, l’air pur de mon amour. pas d’ipod, pas de musique superficielle, rien que la mer, et moi. et un sourire aux lèvres qui veut dire j’suis heureux, pour de vrai, ça y est, rien n’me prend plus la tête, j’fais pas semblant d’sourire cette fois, c’est sincère, j’suis bien, et je n’suis bien qu’ici, de toute façon. c’est ma vie qui se trouve dans ces grains de sable qui chatouillent mes orteils. c’est mon passé, mon présent et mon avenir. rien de plus, et rien ne pourra m’en séparer, jamais. et les vagues sont tout près de moi pourtant la planche est loin. loin de moi, et loin dans mon esprit. loin, je n’en ai pas envie, comme de plus en plus fréquemment ces temps-ci. je relève la tête, scrute les environs. pas un chat n’est dans les parages, presque aucune présence. comme seul au monde. ou presque, une tête attire mon regard. la délicate, avec sa robe comme pour cacher ses jambes, et son livre dans lequel elle semble plongée. ou peut-être endormie, ses yeux, eux aussi, sont cachés. c’est la curiosité qui m’attire inconsciemment vers elle et me fait planter devant ses jambes, à lui porter un peu d’ombre et l’observer silencieusement, sans bouger, comme si j’attendais enfin que quelque chose se passe. « oui ? » et la voix douce s’ajoute à la délicatesse. un sourire élargit mes lèvres. c’est une délicatesse que j’ai définitivement envie de lui voler, que j’ai envie de sentir entre mes doigts et contre moi, irrémédiablement. « t’es nouvelle dans l’coin ou c’est ma tête qui t’fait grimacer comme ça ? » sait-on jamais. j’opterais pourtant plutôt pour une nouvelle, une touriste peut-être, dont le teint est bien trop pâle et les yeux trop agressés par le soleil australien.

Tu baisses la tête sur ton livre et regarde le numéro de page. 394. Tu relèves la tête vers ce type, qui n'a pas bougé. Tu fermes doucement, précieusement ton livre. Tu restes polie, même si t'aimes pas quand on t'empêche de lire. «  t’es nouvelle dans l’coin ou c’est ma tête qui t’fait grimacer comme ça ? » Tu relèves tes lunettes sur ta tête d'une main, pendant que l'autre pose le livre sur le sable. Tu te lèves pour être à sa hauteur, et enfin voir sa tête. Tu le regardes, en silence. Il a un petit air de surfeur, du moins, de ce que t'en sais. T'en as déjà vu quelques uns depuis que t'es arrivée ici, et ils ressemble grosso-modo à ce type la. Tu te souviens qu'il t'as posé une question. Tu souris, joviale comme tu sais l'être. « non, je suis nouvelle. Je suis arrivée il y a quelques jours. » tu réponds, consciencieusement. Tu tends la main. « Rory. » tu dis. La politesse, tu sais pas trop quoi en faire à ce moment là. Le brun t'as déjà tutoyé, alors les règles ne sont plus de mises. Bon bien sur, t'as dix-neuf ans et une tête de bébé, alors pourquoi les gens voudraient te vouvoyer ? Tu repenses à ta reflexion de tout à l'heure. Faire des rencontres. Après tout, passer un semestre à l'étranger, c'est un peu le but, non ? Étudier bien sur, mais de ce coté là, ta pas trop de soucis à te faire toi. Et puis pour le moment, t'as pas Mikkie pour t'aider à parler à des gens. Tu pourrais très certainement faire ça seule. C'est pas si difficile de se faire des amis. T'es pas un monstre, t'en es capable. Mais les garçons, c'est différent. Souvent, ils ont une idée cachée derrière la tête et bon, toi... c'est pas du tout comme ça que t'envisages la vie. Tu veux pas de tout ça. Tu fais pas partie des ces filles là. T'es pas comme elles... Tu te laisses retomber sur le sable et remets tes lunettes sur ton nez, parce que t'es vraiment pas assez habituée au soleil, il t'aveugle complètement. Tu lisses à nouveau ta robe sur tes jambes. Et tu attends. Peut-être qu'il va partir. Peut-être qu'il t'as juste confondu avec une autre fille...