∞ hey brother ! there's an endless road to discover

 Devant moi s'enfilent les bâtiments dans un enchevêtrement de portes, des fenêtres et de regards. Des lumières allumées, des rideaux encore clos, et partout des âmes qui entrent et sortent sans se soucier de moi. Ce qui est plutôt drôle d'ailleurs, quand on y pense. Comment tout ces bisounours, ces jeunes prodiges et ces familles heureuses peuvent faire pour ne pas avoir peur ? J'arrive, les cheveux en batailles, les grolles défoncées et la barbe qui fait dégueu, j'serais pas étonné de les voir fuir en courant. Et pourtant non, ils me croisent et puis rien. Un regard un peu froid sur mon bras tatoué, un autre sur mon oreille percé, mais rien. Je suis l'automne qui arrive sur le monde et tout le monde s'en fou. Comme si c'était normal, comme si c'était dans leurs habitudes. Ça m'étonne, mais au final je m'en fiche. Après tout je suis chez moi, j'ai le droit de traverser ces rues, d'explorer l'asphalte et de respirer leur air. Air que j’enfume avec ma clope, et j'aime ça. Enfin j'arrive à la porte de l'immeuble. Encore deux trois taffes, je jette le cadavre de ma cigarette dans même l'écraser et je remonte mon sac sur mon épaule. Il est tout ce que je possède désormais, voilà le prix de ma fuite. Le code n'a pas changé, c'est du vrai foutage de gueule. Je monte, un peu stressé malgré mon air confiant. Et si Tim n'est plus là ? Non, il n'aurait pas osé virer toutes mes affaires et se barrer sans me prévenir.. Quoi que, c'est ce que j'ai fait il y a trois ans. Quel connerie quand j'y repense, quel putain de connerie. J'ai foutu ma vie en l'air, et pourquoi ? Pour un parfum un peu trop sucré, des lèvres un peu trop rose et un corps un peu trop fragile. Fait chier. Je frappe à la porte, rien. Je sonne, encore et encore. Et rien. Enfin j'entends des pas, il aura été long le bougre. Alors, qui sera derrière la porte ? « Qu'est-ce que tu fous-là Alex ? » Gagné. Timy semble surprit de me voir, il y a de quoi. Moi je le regarde, je rigole intérieurement. J'avais laissé sur le pallier de la porte un petit con arrogant mais ô combien prometteur, et voilà que je tombe sur un mâle dans toute sa splendeur, la gueule défaite et les abdos un peu flasque. Et voilà qu'il se tourne, râlant. Trois ans et il est toujours le même, mon Timy. « Ravi d'te voir aussi Sloan, toujours vivant à ce que je vois. » Je rentre, j'en ai tout les droits. J'ferme la porte derrière moi, et pose mon sac. L'appart par contre a beaucoup changé. C'est quoi ces coussins, cet ordre et cette énorme télé ? Et le sweat rose là bas, c'est surement pas à lui. « J'te dérange, t'étais occupé peu être ? » Manquerait plus qu'une femme sorte de ma chambre hein ? Même pas le temps de penser plus qu'il vient me parler de Jenna. Et ça, ça me refroidit directement. Je la sens ma mâchoire qui se crispe, mon dos qui se contracte. Je revois mes mains en sangs, j'entends ses gémissements de plaisir avec que l'image de Jace me revient. Crevard. « Elle est morte. » Que je réponds froidement, soudain moyennement joyeux. J'ai pas envie qu'il me pose plus de questions, j'ai pas envie d'en parler. Je veux juste oublier, c'est tout. J'ai merdé, j'ai perdu la femme que j'aimais, point. Et lui il se fait un café, normal. Sa voix me sort de mes souvenirs, tant mieux. « Mais je suis jamais parti, tu m'avais pas vu sur le canapé à glander ? » Je souris, mais au fond je sais qu'il a raison. « J'sais pas ce que j'ai cru Tim, je voulais juste être à la maison. » La maison, ça me fait bizarre. Parce qu'avec toute cette tension je suis loin de me sentir chez moi.

∞ hey brother ! there's an endless road to discover

 Voir Timy droit devant moi semble si irréel. Et pourtant il est là, juste en face, surprit et presque déçu de me voir moi le traître qui avait fait de notre amitié un vulgaire jeu que j'avais osé abandonner sans plus de cérémonie. Je m'étais barré de notre monde à nous pour une femme. J'avais perdu ma famille pour elle, et d'un coup Timy était devenu ma seule famille, avec elle. Avant que je ne le lâche, comme un porc. Le voir devant moi c'est foutrement douloureux pour ce cœur sombre que j'abrite en moi depuis quelques mois. Me le rappeler, c'est me souvenir de la souffrance de ces derniers mois, de l'addiction et des vices. Me remémorer la solitude, le manque et l'horreur. Revoir le visage de Jenna, ensanglanté, méconnaissable. J'avais massacré tout ce que je possédais, je l'avais massacré lui. Et je reviens comme un prince, comme un mendiant oui. Voir qu'il accepte de me laisser entrer me laisse sur le cul. Moi qui m'attendait à être chassé de ma maison, mon appartement. Enfin le sien, pas comme si j'avais eu un jour les moyens de me payer ce genre d'immeubles. Je n'ose pas même le regarder, j'ai trop peur qu'il me haïsse. Ce qu'il fait déjà surement. Tout me semble complètement dingue. Comment ai-je pu devenir ce type là ? Je ne me ressemble plus, j'suis même surpris de voir qui lui me reconnait. La vie s'est amusée à me détruire, et me voilà. Déchet, ombre, colère. Une bombe à retardement dont le compte à rebours est lancé. Bientôt, j'explose. Je le suis pourtant à l'intérieur, conscient qu'il risque sa vie avec moi dans la même pièce. Je le vois déjà, le corps en miette, rasé par l'intensité de la déflagration. Il me parle de femme, d'enfants, je m'étouffe presque. Lui, rangé ? Pas possible. « Junior et Salma ? Tu voulais quoi, qu'on ai envie de les frapper au premier regard ? » Je sais que j'y vais fort, mais je m'en fiche. Ça ne peut pas être possible, il n'a pas pu tant changé. Timy, c'est l'homme libre. C'est l'aigle au fond du canyon, pas le gentil père de famille. Et puis les Junior ça me met hors de moi. Défaillance liée à mon propre prénom, William Junior. Ça, presque personne ne le sait, je l'ai toujours caché. Parce que ces hommes si narcissiques, si fiers d'eux qu'ils nomment leurs enfants avec leurs noms à eux, ça me répugne. Comme si l'on pouvait prolonger chez ses progénitures les envies substantiels des hommes à briller coûte que coûte. Mais ça je lui dis pas, peu être qu'il y croit à la fierté familiale l'américain. Je ne m'installe pas, je ne suis pas vraiment à l'aise. Il manque un truc pour qui lui et moi on soit comme avant je pense. La vérité, c'est ça qu'il manque. Sauf que je ne peux rien dire au risque de perdre son amitié pour toujours. Je n'aurais qu'à lui dire qu'elle m'a larguée, qu'elle vit avec un autre. Mais cette idée me répugne, elle est mienne. Même là où elle est désormais. Alors je lui dis, sans même me demander quoi lui répondre si il demande ce qu'elle a eu. Et bien sur, il pose la question. Au moins j'ai la chance d'apprendre que le mariage et les gosses, c'était du faux. Je ne l'écoute même plus, je réfléchis. Lui dire et le perdre ? Ne rien dire et me laisser consumer ? Je n'ai pas vraiment d'autres choix. Il va appeler les flics, et je croupirais pour mes actes. Par amour, un amour qu'ils ne comprendraient pas. Je les voit, mes mains qui tremblent. Je viens de les remarquer, je les sens à peine. Répondre, pas répondre ? J'ai mal au crane, j'en peux plus. Il faut que ça sorte, il faut que ça sorte, il faut... « Je voulais pas, je voulais vraiment pas ce qui est arrivé. » J'ai ouvert la bouche, le coupant malgré moi. Il n’existait plus de toute façon, mon esprit l'occultait pour parler aux murs de cet appartement qui une année durant avait accueillit mes rires et mes peurs. C'était le mieux que je pouvais faire. Je regarde le sol, que faire d'autre. Ma main passe instinctivement dans mes cheveux. Jenna me disait toujours que ça me donnait un air sexy, mon cul ouais. Ça me donne juste l'air faible, c'est tout. L'air d'être le montre que je suis. « Je ne savais pas qu'un corps pouvait contenir tant de sangs Timy. Mais j'étais ivre mort, et je venais de me faire un shoot, et.. » Et j'ai adoré ça. Frapper, me défouler sur le corps de cette putain en chaleur que j'osait appeler amour. Femme qui encore aujourd'hui hante mes rêves et mes cauchemars, femme à qui j'appartiens. « C'est juste un terrible accident, une vrai connerie. Je l'aime, je l'aime et j'ai tout foutu en l'air. » Finalement je m'assoit, d'un coup trop faible pour tenir le coup. Je ne le regarde même pas, comment pourrais-je ? J'annonce à mon meilleur ami que j'ai détruit tout ce que j'avais pour une femme, et que même celle-ci est passé sous le poids de ma destruction. Cœur qui implose, âme qui lâche. C'est désormais tout mon corps qui lâche, toute ma chair qui tremble. Parce que je la revois me sourire, et que tout ce que je souhaite c'est tendre les bras pour l’attraper, pour qu'elle me revienne. « Elle me manque tellement. »