la planche sous un bras, sixtine sous l’autre, je la traîne le long de la plage. elle se révolte, elle râle, elle a longtemps refusé de venir avec moi avant de finir par craquer. j’ai mis des heures, chez elle, à la convaincre de venir avec moi à la plage. c’est pas le bout du monde quand même pourtant, aller à la plage. sans doute que c’est parce qu’elle sait ce que j’ai derrière la tête, c’est possible. mais j’ai quand même réussi à lui faire mettre un maillot de bain, et ça, c’est fort, j’suis très doué. puis sans doute qu’elle sait qu’elle ne pourra pas résister bien longtemps et qu’elle finira par m’obéir au doigt et l’œil, comme à chaque fois, alors il ne servait à rien de lutter et de rester habillée, parce qu’elle aurait fini en sac à patate sur mon épaule puis entièrement habillée dans la mer. je la tire vers le bord de l’eau, mais elle plante ses pieds dans le sol et je crois que je vais avoir définitivement du mal à la mener avec moi. je plante la planche dans le sable et attrape ses deux mains. donne moi une seule bonne raison de pas essayer, alleeeez quoi ! j’suis prêt à remonter sur une planche pour elle, elle devrait en profiter quoi. surfer, c’est pas le bout du monde, c’est magnifique, c’est génial, c’est extraordinaire. et alors qu’on connaît cette sensation, sa sœur et moi, elle devrait s’y intéresser un minimum. ou du moins faire semblant de s’y intéresser et essayer. elle ne va pas s’faire bouffer par un requin, elle peut m’faire confiance, quand même.

« non maaaaais, j’te jure jimi, moi j’suis très bien sur le sable, promis c’est beau de vous voir surfer, j’adore ça, mais moiiiiii sur une planche, j’vais mourir, c’est sûr ! » je la regarde, et puis j’éclate de rire. non, sérieusement, elle n’peut pas être sérieuse. mourir sur une planche, quelle drôle d’idée. puis moi, j’aimerais bien savoir ce qui peut lui faire dire ça. moi à côté d’elle, elle n’va pas mourir, ou alors seulement si j’meurs avant elle, mais sinon c’est impossible. « non, non, tu dis n’importe quoi, tu mourras pas » « si tu veux j’peux m’baigner pis j’te regarde faire. » j’lève les yeux au ciel et soupire. elle ne m’aura pas comme ça, j’suis pas prêt de renoncer et baisser les bras, ça non. si elle me connaissait si bien que ça, elle saurait que tant que je n’ai pas obtenu ce que je voulais, je ne lâche pas l’affaire. jamais. puis, les défis c’est toujours sympa à relever, et d’autant plus agréable quand j’y arrive –et entre nous, j’y arrive tout le temps. « c’est pas ça l’deal six’, mais tu vas aller dans l’eau, ça ouais » ouais, ouais, ça ouais. j’lui fais un sourire, c’sourire carnassier qui lui dit oh ma petite, tu vas passer à la casserole, ça ouais. et puis j’lui demande de me donner une seule bonne raison de refuser, et elle m’en sort trois. aucune valable. « y a des requins, j’peux tomber et m’prendre la planche sur la tête, j’peux m’noyer, tu vois trois bonnes raisons ! » j’rigole, encore, mais j’désespère un peu quand même. qui m’a foutu une meilleure amie comme elle, hein ? j’me demande comment elle peut être si différente de sa sœur de ce côté-là, c’pas possible, y en a une qui a été adoptée. « petit un, y a pas de requin, puis au pire, c’est toi sur la planche et moi dans l’eau donc c’est moi qui me fait bouffer. petit deux, si tu tombes et qu’tu te prends la planche sur la tête, bravo, c’est presque impossible. petit trois, tu sais nager, pas de raison de te noyer. » puis j’lui souris encore, fier cette fois, des arguments que je viens de déballer à toute vitesse. puis, tout tient la route, en plus. pour une fois. « c’est bon, tu viens, maintenant ? » mais visiblement, ce n’est pas assez puisqu’elle trouve encore matière à rechigner. « elle est un peu froide en plus non ? » « tu rigoles ? elle est super bonne là, au pire j’te passe ma combi, t’auras pas froid » ouais, ouais, pas d’excuse, j’ai réponse à tout moi, de toute façon.

« mais comment tu l’sais que j’vais pas mourir, si ça s’trouve c’mon jour de malheur, on sait paaaaaaaaaaaas hein ? » je ris, mais en fait, j’désespère un peu –beaucoup– dans l’fond. elle m’désespère, et j’sais pas c’que j’ai fait pour mériter qu’on m’colle cette nana dans les pattes. j’sais pas, j’ai dû être un tyran dans une autre vie, parce que vraiment, c’est pas possible autrement. mais, c’pas grave, parce que j’l’aime bien quand même. « eh ben si c’est ton jour de malheur tu peux mourir sur le sable aussi alooooors tu peux venir dans l’eau sur la planche » et biiiiiiiiim dans tes dents sixtine, j’suis trop fort. j’ai réponse à tout et j’ai toujours raison, c’est tout, c’est comme ça, va falloir t’y faire chérie. « parce qu’on avait un deal ? que t’as passé avec toi-même en pensant que c’était moi ? » j’rigole avec elle, puis « oui oui c’est vrai qu’j’ai la tête d’une petite blonde j’oubliais » teeeellement de ressemblance entre nous, c’est sûr. « en fait t’as un dédoublement de personnalité et ton double c’est moi ? j’suis décidemment pas ta meilleure pour rien alors. » ah çaaaa c’est sûr. enfin, pour l’fait qu’c’est pas ma meilleure amie pour rien. par coooontre le dédoublement de la personnalité, on repassera. le double, je l’ai déjà. ouais, enfin, je l’avais. ouais, rien qu’d’y penser j’ai l’sourire qui retombe et puis j’lui réponds pas. j’en sais rien, le spleen qui débarque d’un coup, qui rentre sans toquer à la porte. il était pas prévu, c’lui-là. allez, allez reprends-toi mon gars, le smile il est toujours là ouais, suffit juste de l’retrouver. c’pas facile, bon, j’vais l’écouter parler, peut-être que j’m’en sortirais comme ça, qui sait. eh j’me sens comme un mec instable et en plus j’me parle seul. elle a raison j’ai peut-être un dédoublement d’personnalité. faudrait peut-être que j’aille consulter un d’ces quatre moi, en fait. breeeeef. « mais j’veux pas que tu t’fasses bouffer par un requin ? j’ferais quoi moi sans toi si un requin te bouffe, tu vois j’préfères me sacrifier, vas sur la planche, j’irais dans l’eau. » maiiiiis. non. « on joue pas aux négociations là sixtine ohhhhhh j’ai dit tu vas sur la planche alleeeeez et que ça saute ! » et puis elle m’sort l’excuse bidon de ‘l’eau est trop froide’ mon cul ouaiiiiiiis il est froid lui ? oh non, il est chaud comme la braise. ahahaha. bref. alors comme j’suis tellement généreux, moi, j’veux bien lui prêter ma combi. même si elle va lui aller beaucoup beaucoup trop grande c’t’allumette / planche à pain qu’elle est. « c’est vrai tu veux bien m’la prêter ? » puis elle m’regarde avec sa tête de gamine et ses étoiles dans les yeux et j’peux pas m’empêcher de rigoler là, c’est sûr. « parce que tu sais j’ai toujours rêvé d’avoir l’air d’une surfeuse moi, mais juste avoir l’air, tu sais. » et puis là, c’est le fou rire assuré. « ouais, t’as raison, les surfeuse sont les plus sexys, j’te jure, une meuf en combi j’sais pas, tu résistes pas tu vois ? » ouais, ouais, j’suis sûr qu’elle voit. alors j’me mets à enlever ma combi en mode sexy genre talalalalaaa lalalalalalaaaaa genre comme ça pour finir en boxer et la lui tendre, un grand sourire aux lèvres.