« il est interdit de cogner contre les vitres. » C’est assez insupportable cette manie de crier dès que quelqu’un pose les doigts sur les vitres. C’est déjà la cinquième fois en dix minutes. Je ne peux pas vraiment m’empêcher de jeter un regard noir aux gardiens, comme s’ils faisaient la loi ici. C’est un aquarium merde, c’est plein de gamin et les gamins, ça fout leur doigts partout, surtout sur les vitres. Elles sont là pour ça, je dirais même. Alors zut, silence. Qu’on me laisse apprécier la beauté des fonds marins, même si tout ça n’est pas vraiment réel. La mer, ça doit être cent fois plus beau, mais c’est tout ce qu’on peut se permettre là alors j’hausse les épaules et je me contente d’avancer et d’observer les bassins à travers les vitres. J’en viens à réaliser au bout de plusieurs minutes à observer les poissons que j’ai perdu Jimi quelque part dans la foule, merde, c’était censé être une sortie de couple. Du coup, je me retrouve à passer entre les classes venues visiter pour le retrouver. Pour une fois qu’il passe du temps avec moi, j’aurais du l’attacher, lui tenir la main peut-être. Et maintenant je fais quoi, je passe une annonce disant que le petit Jimi est attendu à l’accueil. Ça sera sans doute la première fois qu’on en passe une pour un idiot de 23 ans, limite y’aurait que les gosses pourtant son prénom qui se pointeraient et j’serais pas avancée. Merde, merde, merde. « Jimi ? » Je cherche. J’interpelle un peu tout le monde, sans grand résultat. Je pourrais téléphoner, mais le réseau passe pas, faut pas perturber les poissons. Ouais, ils font chier. Je suis seule maintenant, quoique, me resterait toujours à aller voir dans les toilettes des hommes. L’humiliation. Enfin, au point où j’en suis. Je m’y dirige doucement, comme si j’allais commettre un crime. C’est un peu ce que j’ai le sentiment de faire, j’entre-ouvre seulement, j’ose pas jeter de coup d’oeil que techniquement, c’est pareil partout, j’adresse juste à travers la pièce. « Jimi, t’es là ? »

j'ai bien fait, finalement, d'accepter que solveig me traîne à l'aquarium. on aurait pu rester tranquillement à l'appartement, pour une des rares fois où elle y aurait mis les pieds, à ne rien faire, à glander tranquillement. on aurait pu, ouais. mais elle a réussi à me convaincre de sortir. peut-être pour lui faire plaisir, pour faire une vraie sortie de couple, pour une fois. ou peut-être parce que je n'y avais jamais mis les pieds jusqu'à présent, moi, à l'aquarium. depuis tout ce temps que je vis à sydney, jamais je n'étais rentré là-dedans. ça me fait réaliser que je connais sans doute moins les endroits à visiter que les touristes étrangers. sans doute. enfin, c'est pas plus mal de m'être laissé mener. l'aquarium a quelque chose de reposant. être derrière la vitre à voir ces litres et ces litres d'eau, ces tas de poissons qui tournent en rond. si ça se trouve, c'est nous leur attraction, et pas l'inverse. je reste figé devant les requins. les requins et la fille dans la cage qui a dû payer une fortune pour manquer de se faire bouffer à tout instant. elle est dingue, celle-là. mais. quand même. je me dis que ça doit être pas mal. ça t'dit pas de faire comme elle ? je tourne la tête vers solveig. ou plutôt, vers personne. elle a disparu. booooon. je reste encore quelques minutes et me décide enfin à partir à sa recherche. le téléphone ne capte pas, évidemment. c'est pas drôle, sinon. allez, allez, cherche donc la petite tête blonde de ta copine jimi, pendant que ces sales mômes te coupent le chemin et n'arrêtent pas de brailler. eh, c'est que j'en attraperais bien un pour frapper sur les autres, là. je la vois, au loin, pousser la porte des toilettes pour hommes. elle doit me chercher, sans doute. j'arrive à pas de loup derrière elle et attrape ses hanches d'un coup pour la surprendre. BOUH. j'embrasse furtivement sa joue. qu'est-ce que t'allais faire chez les mâles, voyeuse ?

L’humiliation, c’est ce que je ressens en poussant légèrement cette porte bien que techniquement, il n’y ait rien de honteux. C’est pas comme si j’allais être choqué par des hommes faisant pipi en rang. Non, c’est juste que si je met la tête là dedans, je serais pour le reste de la journée, la fille qui est entrée dans les toilettes des hommes, et ça qu’on me pointe du doigts c’est pas trop trop ce dont j’ai envie. L’anonymat, c’est cool. Ouais, bon y’a déjà des gens qui se demandent ce que je fou. Je vais me dépêcher de le retrouver le Jimi, bientôt on va dire aux gamins de pas m’approcher sous prétexte que je suis perverse. « BOUH. » Il est là. Je sursaute un peu. L’excuse ? Je me faisais un flip tout seul. Ok, il m’a fait peur ce con. Qu’elle idée aussi. Bon bon bon, on va pas s’plaindre non plus. Problème résolu, je peux lâcher cette foutu poignée et partir ailleurs, là où personne m’aura vu regarder les monsieurs au pipi room. « qu'est-ce que t'allais faire chez les mâles, voyeuse ? » Tout est finalement plus rassurant quand il est là. Je lui fais un grand sourire avant de répondre. « Je te cherchais, t’avais disparu du coup je me suis dit que tu serais là dedans. » Ca semblait hyper logique y’a encore dix minutes, si si. « J’ai failli faire passer une annonce comme à l’entrée des magasins tu sais ? » Ouais, et il aurait pas tilté qu’on parle de lui. « Mais du coup, je sais pas si tu t’amuses, si tu veux on peut aller manger un truc et continuer un peu après. J’ai pas encore vu les requins j’crois. » Ouais, j’aurais bien voulu même mais je suis allée voir les tortues avant. Enfin, c’est pas important. Ce qui importe, c’est qu’il se fasse pas chier sinon, la prochaine fois que je proposerais un truc, je pourrais aller me faire voir. Je passe son bras par-dessus mon épaule et on marche comme ça, juste pour pas se perdre à nouveau. « C’est comme tu veux. »