J’aurais tendance à dire que ma vie, jusqu’ici, a été plutôt banale et « normale », mais je suppose que ma définition de « normale » n’est pas celle de tout le monde. Après tout, normale ça revient à la norme, et ma vie a été jusqu’ici plutôt hors-norme. Je suis né le 1er Avril 1994 dans une famille sud-coréenne aisée. Je suis le cadet de la famille, sachant que ma fratrie se compose de deux garçons : moi et mon grand-frère. Mon père est le PDG d’une grande chaîne de télévision coréenne, et ma mère est à la direction d’une nouvelle grande bijouterie. Mon frère et moi n’avons pas vraiment grandi dans une famille soudée, et je suppose que c’est comme cela que ça se passe dans les autres familles vivant dans ces milieux d’entreprise. Peu d’années nous séparent, alors lorsque nous étions jeunes nous étions gardés par une « nounou ». Elle était stricte et ne nous procurait que peu de joies. Nous étions deux jeunes garçons soucieux de nos succès, et lorsque notre âge nous le permettait encore, nous adorions chasser les nounous les unes après les autres. Néanmoins, celle-là fut celle qui resta, à notre plus grand désespoir. Nos parents étaient donc peu à la maison, et nos liens n’étaient presque faits que de sang. Malgré tout ils nous portaient tout l’amour du monde et nous savions que leur absence n’était que le miroir de leur implication pour nous donner tout ce dont nous avions besoin et envie. Et ils y parvinrent. Nous avons toujours été pourris gâtés, mais c’est dans les pires moments que l’on reconnaît les dons d’amour des uns et des autres et que l’on se focalise de nouveau sur l’essentiel. La famille a toujours été un essentiel dans ma famille, quelle que soit la situation dans laquelle nous nous trouvions, et quelle que soit mon âge. Mon frère, lorsque nous n’étions qu’ados, fût victime d’un accident lors d’une escalade risquée. Un accident grave. C’était alors qu’il était parti en excursion avec quelques amis, tandis que moi j’étais cloué à mon siège d’écolier. Je crois que ce fût l’un des pires jours de ma vie. J’ai cru que mon monde s’écroulait, que mon seul réel allié m’avait laissé seul à jamais. J’avais fuis mon école, m’étais perdu dans les couloirs de l’hôpital. Et lorsque j’arrivais, je le voyais allongé sur son lit, presque inerte, recouvert de tuyaux et inconscient. Cette situation dura près de trois semaines. Et c’est pendant ce coma artificiel et l’opération périlleuse qu’il avait dû subir que j’ai réalisé à quel point ma famille et mon frère m’étaient précieux.

Pourtant, même si la famille est là pour vous protéger, tout naturellement, parfois j’ai simplement l’impression que le bien que l’on essaye de vous donner n’est pas forcément le meilleur pour vous. Chacun a sa vision du bon, et moi j’avais enfin trouvé l’amour. Cependant ce fût cette forme de bien, qui me fût notamment d’une grande aide pendant ces trois semaines, que l’on m’arracha le plus durement et froidement. Cette jeune fille, jolie brune de mon âge, était la fille de notre nounou. Elle était adorable comme tout, à la fois sérieuse et dynamique, à la fois gentille et fugace. C’était un peu le médicament à mes blessures, mais je ne l’aimais pas que pour cette raison, même si elle était loin d’être futile. Je l’aimais tout simplement pour ce qu’elle était, et je l’aurais tout autant aimée si nous nous étions trouvés dans un océan vide d’actions, de souvenirs et de sentiments externes. Mais peu importe tout cela. Elle arrivait parfois le matin avec sa mère, et c’était de temps en temps elle qui me poussait de mon lit. Mon frère et elle étaient à peu près les seuls qui pouvaient me sortir de là lorsque je n’en avais pas envie. Et parfois il fallait utiliser la force. Alors elle me tirait, me poussait, me chatouillait. Et il en fallait de peu pour que cela fonctionne, parce que c’était tout simplement elle. Mais lorsque nos rapprochements furent plus insistants, on nous sépara. Ma mère et mon père, fous de rages car ils me promettaient à un avenir brillant et non pas « misérable », prirent une décision qui me mit hors de moi. Du jour au lendemain notre nounou fut virée, et ils lui permirent de partir loin, très loin de chez nous, avec des moyens suffisants pour convaincre notre nounou de ne pas revenir. C’est ainsi que tout s’était terminé. Il ne me restait que quelques photos que j’avais soigneusement cachées et un pin qu’elle portait constamment et que je porte maintenant au quotidien.

C’est aussi à partir de ce moment que mon père a décidé de nous jeter à l’eau, mon frère et moi. Cet épisode lui avait, selon lui, ouvert les yeux. Nous n’étions que des gosses pourris gâtés et incapables de se débrouiller. Alors il me donna une somme de départ et me poussa à partir de la Corée du Sud pour faire mes études et « grandir un peu ». Je suis donc parti dans cette optique, ou plutôt parce que je n’avais pas le choix, et ai décidé de ne pas trop m’éloigner. C’est pour cela que je me retrouve maintenant en Australie. Et comme mon père a décidé de me « responsabiliser », je me retrouve à devoir travailler. Je n’ai rien contre le travail, je trouve que c’est une belle valeur et une belle action quand elle est faite avec amour, mais je préfère exercer ma passion, la danse, qui j’espère se transformera en travail. Le bilan de cette histoire, c’est que jusqu’à maintenant je préfère quand même mon lit.