T'en peux plus de ces réunions qui n'en finissent pas, de ces putains d'hommes d'affaires barbant, radoteurs, qui osent de surcroît te donner des leçons. C'est l'expérience qui donne la sagesse, pas l'âge. Crétin de dégarni rondouillard qui empeste l'eau de cologne à des kilomètres. Tu l'enverrais bien s'faire voir, lui et sa face de rat génétiquement modifié, s'il n'était pas ton supérieur. Tu maîtrises ta fureur, préserves ton sourire et quittes à grandes enjambées ces bureaux damnés. Tu n'as qu'une envie, te barrer, quitter ces lieux, rentrer chez toi. Même ta femme te paraît être un meilleur programme que tous ces bureaucrates, c'est pour dire. Ta mallette sous le bras tu t'impatientes en attendant l'ascenseur, appuis mille et une fois avant que les portes ne s'ouvrent, portes dans lesquelles tu t'engouffres comme si elles t'offraient un échappatoire. Tu atteins le rez de chaussée avec un soupir de soulagement, la bonne humeur te reviendrait presque. Presque, alors. Tandis que tu te diriges vers ton véhicule, une pluie torrentielle s'abat soudainement sur toi et t'arrache de multiples jurons. La mallette au-dessus de ta tête, tu pestes contre le monde entier, marmonnant des insultes dans ta barbe. Et alors que tu pensais ton cauchemar au complet, une lumière attire ton regard non loin de toi, lumière au moteur vibrant. Tu vois le scooter faire des zigzags, subitement, et en un rien de temps traverser le trottoir dans ta direction. T'as à peine le temps de faire un plongeon qu'il te frôle, sournoisement, attisant ta mauvaise humeur. T'aperçois de longs cheveux sous le casque du responsable. Ben voyons. Mais t'es une grande malade! Je l'ai toujours dit, femme au volant, accident au tournant, putain d'gonzesse. Et tu fulmines, parles tout seul, la maudit. Tout va bien.

Putain de journée de merde, j'en pouvais vraiment plus de tout ça. Certes, j'adorais mon boulot, en règle générale. Mais aujourd'hui, tout me tombait dessus, à m'en donner mal au crâne. Entre le patron chiant, et tout les habitants de Sydney qui avait eu une soudaine envie de pizza. C'était la journée nationale, ou quoi ? Je grognai en enjambant le scooter prêté par le boss. Je détestais ces engins. Des motos pour tapettes, d'après moi. Mais il y avait trop de commandes, et je ne pouvais pas aller assez vite à pied. Ou même en rollers. Et pourtant, Dieu que c'est cool le roller. Je soupirai et enclenchai l'appareil, partant à plein gaz sur la route, pressée de finir ces stupides commandes, de ranger ce stupide scooter et d'enfin profiter de la vie, quoi. Sauf qu'évidemment, le sort s'acharne sur moi aujourd'hui, et il se met à pleuvoir des cordes. « Sérieusement ? » Je soupire encore. De la pluie en Australie. Oui, les miracles existent, amen. Je penserai à prier avant de manger ma pizza ce soir. Je plisse un peu les yeux, mais rien n'y fait, la pluie ne m'aide pas du tout et je dois ralentir. Enfin ... Je devais. Avant même de comprendre, je me retrouve sur le trottoir, arrêtant le scooter de justesse alors qu'il finissait presque par terre ... A côté de toutes les pizzas. « Nan, t'es pas sérieux là ? » Et avec tout ça, je n'avais même pas remarqué le mec derrière, qui se fît remarquer tout seul. Je soufflai, enlevant mon casque et libérant mes cheveux, vite trempés. Elle était belle ma chevelure de flamme sous la pluie, tiens. Saloperie. « Quelle remarque pertinente ! Très intelligent vraiment. » Je lui lançai un regard peu amène. Journée pourrie, humeur pourrie.