- Vous plaisantez ?! C'est bourré d'acides gras saturés et ça baigne dans la sauce ! Jamais je n'infligerai à mes fesses une telle injection de cellulite express !

Levant le nez avec dédain, Casey snoba royalement le plat de nachos que lui proposait la cantinière et prit la direction du buffet froid où salades, crudités et viandes blanches trouvèrent plus d'indulgence à ses yeux. L'encolure de sa veste laissait apparaître le haut d'un débardeur moulant tandis que le tissu fluide de son pantalon de survêtement témoignait qu'il sortait à peine de son dernier cours de la matinée. La faim de loup qui le tenaillait lui avait fait oublier son amabilité dans les vestiaires du studio. Lorsqu'il eut empilé dans son assiette suffisamment de carottes râpées bio pour faire fantasmer un lapin, il se détourna du self et s'avança vers la salle du restaurant universitaire. Sous ses cheveux encore humides de l'eau dont il s'était rapidement aspergé pour se rendre présentable après deux heures de chorégraphies acharnées, ses yeux balayèrent l'assemblée. Il lui fallut avancer de quelques pas et franchir les premières rangées de tables pour repérer l'arrière d'un crâne familier. Avec toute l'habilité qui le caractérisait, Casey slaloma entre les groupes d'étudiants qui parlaient la bouche pleine et se pencha à l'oreille de la jeune femme, prise la main dans le sac.

- Mange ton entrée plutôt que de te ronger les ongles, Miss Cracra ! Taquina-t-il, pour la faire sursauter, avant de prendre place à ses côtés et d'empoigner fermement son couteau et sa fourchette.  Non, je ne t'embrasse pas, je n'ai pas eu le temps de prendre de douche après le cours de danse moder ... Oh mon dieu, qu'est ce que c'est que cette chose infâme que tu t'apprêtes à manger ?

Les yeux grands ouverts, le visage figé d'horreur, Casey détailla le plat sur lequel Ambre avait jeté son dévolu et ne put s'empêcher de poursuivre son monologue avant même que la jeune femme n'aie eu l'occasion de se justifier.

- Chérie, ça ne va pas être possible. T'as déjà vu Rihanna s'enfiler une andouillette (enlève cette image obscène de ta tête, catin, je suis sérieux !) ou Beyonce baver sur un cornet de frites ? Non. Et pourquoi ? Hein, pourquoi ? Parce que c'est FAT !

Dramaturge dans l'âme, Casey piqua une tomate dans sa propre assiette et brandit sa fourchette accusatrice en direction d'Ambre qu'il gratifia d'un regard perçant.

« Je tiens à te rappeler que Beyoncé est loin d'être une planche à pain. » A ces mots, la poigne de Casey se resserra de manière significative sur le manche de sa fourchette et ses yeux se plissèrent jusqu'à se réduire à l'état de deux meurtrières prêtent à cracher leurs projectiles sur l'ennemi. Qu'on ne s'avise pas de critiquer Beyoncé, car en grand amateur de chorégraphies calibrées sur mesure et en parfait homo qui se respecte, Casey en était tout particulièrement fan. « Certes elle fait attention à ce qu'elle mange [...] alors toi et tes aliments bio, tu sais où tu peux te les mettre. » Insolent, Casey s'apprêtait à répondre quelque chose d'obscène concernant les bienfaits des carottes crues sur l'organisme et l'extraordinaire diversité des orifices par l'intermédiaire desquels il était possible de les détourner de leur usage courant pour en faire des sextoys, mais Ambre termina son plaidoyer par une remarque digne de la plus vilaine des peaux de vaches, tant et si bien que notre danseur se drapa d'orgueil en émettant un " humpf ! " suffisant (ce qui ne l'empêcha pour autant pas de discrètement se tâter les fesses, sous la table, pour se rassurer quant à l'inexistence de gras sur cette partie de son anatomie).

« Rappelle moi comment ton patron arrive à croire que tu sors avec Victoria ? » « On range nos légumes bio sous ses yeux, bitch, ça suffit à le convaincre. » Bougonna-t-il avec sarcasme tout en attaquant sa salade composée. Il fallut quelques secondes de mastication silencieuse pour que l'estomac de Casey cesse de gronder, ce qui permet à son humeur de s'améliorer sensiblement et de lui faire oublier la vacherie de sa comparse à propos du périmètre de leur fessier respectif. Passant d'une humeur à l'autre, il cessa de froncer le nez et retrouva son entrain habituel. « Alors ? Quoi de neuf ? Donne-moi du ragot et du potin de première main, je m'ennuie cette semaine ! A croire que rien ne se passe sur le campus ... Pas de test de grossesse positif, pas de LSD qui tombe par inadvertance dans un verre, pas de grande rupture mélodramatique au beau milieu des couloirs ... Ce que c'est calme ! ».