26 février 2009. « Victoria ? » Je me retournais sur ma sœur avec un air interrogateur. Elle avait frappé silencieusement à la porte et se tenait dans l’encadrement. Elle était belle, blonde, elle faisait adulte. Elle n’avait que vingt-deux ans pourtant, elle était encore jeune. Mais elle était très mature. « Le notaire est là. Tu sais, pour l’argent de papa et maman. » Je me tournais vers la fenêtre et regardais au loin. Un vent fort soufflait sur Adélaïde, l’orage n’était plus très loin. J’aimais les temps orageux, ça apaisait mes maux et ma colère. De l’orage, vite. J’entendais déjà le grondement significatif du tonnerre au loin, et parfois, un éclair déchirait le ciel. « C’est tout à toi Jazz. » En réalité, ma sœur s’appelait Anouk. Jazz, c’est le surnom que je lui avais toujours donné. On avait déjà eu cette conversation il y a deux jours, puis hier soir, et encore ce matin. Je n’allais pas changer d’avis. Je ne voulais pas d’argent venant de mes parents décédés il y avait à peine une semaine. Pour le moment je n’en avais pas besoin, et puis je voulais me débrouiller seule. « Ecoutes Vicky, ça représente beaucoup, beaucoup d’argent... Tu en auras besoin un jour où l’autre. » Peut-être. Très certainement même. Mais je ne voulais pas profiter de leur mort pour m’enrichir, c’était injuste. On avait vécu heureux tous les quatre jusqu’à maintenant, j’avais eu une enfance et une adolescence merveilleuse. Je n’étais pas là plus fabuleuse des gamines, mais j’aimais mes parents. Je les aimais trop pour faire ça. « Je t’ai déjà dit ce que j’en pensais Anouk. Je ne veux pas. Prends tout. S’il te plait. » Je ne l’appelais pas souvent Anouk. D’ailleurs, ça a du lui faire bizarre car elle ne disait plus un mot, elle se contentait de venir m’embrasser sur le front doucement. Je chuchotais un merci.

   12 juin 2010. J’avais les mains pleines de sang. Mes habits étaient tachés. Du sang, du rouge, trop de rouge partout. J’arrivais à peine à respirer. J’avais la vue brouillée, non pas par les larmes, je ne pleurais pas, mais par la peur et la folie qui m’avaient contractée. Je soufflais fort en tentant de reprendre mon souffle, je ne cessais de me répéter que c’était un accident. Un stupide accident. Malcolm réveille toi putain. Je n’arrivais plus à penser. Il n’allait pas se réveiller. Il n’allait pas se réveiller puisqu’il était mort. Je l’avais tué. Dormir, tu dois dormir pour avoir les idées claires, me disais-je. Je m’endormais. Puis je me réveillais, le soleil perçait entre les rideaux. Je n’avais aucune idée de l’heure, je sentais le sang coagulé près de moi. J’avais dormi près de lui. J’avais la nausée, l’air sentait le sang, le fer, la mort. Nettoie tout, m’ordonnais-je à moi-même. Alors je nettoyais tout, je passais la journée à tout nettoyer, en attendant la nuit, de pouvoir le déplacer, l’emmener loin, je ne savais même pas ou. Quelque part où on le retrouverait, je ne voulais pas faire de mal à sa famille, je ne voulais même pas lui faire de mal à lui. Pourtant je ne ressentais rien, je ne pleurais pas, je n’avais pas envie de pleurer. J’ai passé la journée à tout nettoyer, le moindre objet, la moindre trace. Puis la nuit, je l’avais emmené. Je n’ai croisé personne. On le retrouva le lendemain, à l’endroit où je l’avais laissé. Sur le bord d’une route.
 
24 avril 2011. Une année que ça durait. Une année que cet inspecteur me courait après. Il n’avait rien contre moi, absolument rien. Et il me pourrissait la vie. J’avais commis le crime parfait. Et j’en étais presque fière. J’étais fière de le voir tourner en rond, fière de le voir me suivre sans jamais rien trouver. J’en faisais des tonnes, disant que Malcolm était l’homme de ma vie, que j’aurais pu me tuer pour lui, alors qu’en fait je l’avais tué. Pour rien. Anouk me soutenait dans cette épreuve, et lui mentir était ce que j’avais fais de pire dans ma vie. Je pensais à mes parents, et ça me donnait la nausée. Je devais partir, fuir loin. « Je pars Jazz, j’en peux plus de tout ça. Je t’aime je t’oublie pas. » Ça ressemblait à s’y méprendre à une lettre pré-suicide. Ce n’en était pas une, et j’espérais qu’Anouk le comprendrait. Je faisais mes valises rapidement, sans même savoir où j’allais aller. J’avais pris le maximum d’affaires, un peu d’argent, juste de quoi vivre quelques temps, le temps que ça s’arrange. Je voulais oublier Adélaïde, oublier cet inspecteur, oublier Malcom, oublier tout. Sauf Jazz, et mes parents. J’ai roulé longtemps, je n’arrêtais pas de me répéter que tout cela était stupide, que je devais rentrer, rassurer Jazz qui devait être dans tous ses états. Mais je continuais de conduire, je savais où j’allais aller. A Sydney.

   13 décembre 2013. Je dansais, à moitié nue, le long de cette barre de fer froide qui glissait entre mes cuisses, dans mon dos et sur mon ventre. Ce n’était pas désagréable. Au début, j’avais commencé à faire ce métier avec dégoût, portant une perruque pour que personne ne me reconnaisse. Je ne supportais pas les mains baladeuses des hommes, je ne supportais pas non plus les billets parfois généreux qu’on glissait dans mon soutien-gorge ou entre les ficelles de mon string. Aujourd’hui, tout cela me parait loin, et je trouve du plaisir à venir travailler la nuit. Et puis il faut avouer que c’est un métier qui paye assez bien. Je finissais mon numéro et me rendais dans les vestiaires, ou j’entendais les éclats d’une dispute entre deux hommes. La boite n’était pas réservée qu’aux hommes, les femmes pouvaient aussi venir voir des gogo danseurs. C’était Casey et le patron. Encore une fois. « Ça se voit à cent mètres que tu es gay Casey, bordel ! » « Je ne suis pas gay ! » Evidemment, il l’était, nous étions amis depuis mon arrivée ici, donc deux ans, et je le considérais comme mon meilleur ami. Je fis mine de trébucher pour les avertir de ma présence et m’excusa avec un sourire puéril. « Oups pardon je n’avais pas vu que vous étiez là, je suis tellement maladroite, je me demande comment j’arrive à tenir en équilibre sur une barre. » J’éclatais de rire, évidemment je n’étais pas maladroite. « Ça va bébé ? » Je me précipitais vers Casey et l’embrassait fougueusement sous les yeux médusés du patron, qui s’en allait sans un mot. Je me détachais avec un petit pincement au cœur. « Désolée, je ne voulais pas que tu ais d’ennuis à cause de ce type. » Je souriais et on convenait ensemble d’un plan qui consistait à faire croire à tout le monde que l’on était en couple.