La semaine a été horrible. Il y a des semaines, comme ça, où je préfèrerai être à mille kilomètres d’ici, de retour dans mon Angleterre natale avec mes proches, les gens qui m’aiment et ne me veulent pas de mal. Mark n’est pas fondamentalement mauvais, il a du mal à gérer ses crises de colère, et si j’ai un temps pensé que l’idée de me taper dessus lui passerait, force est de constater que je me suis trompée. Je me refuse à réaliser cependant, cela aurait trop de conséquences sur ma vie. Le quitter me semble tout bonnement impossible, et s’il est clair que je ne l’aime pas – comme lui ne m’aime pas – le confort d’une maison est plus important pour moi que le bonheur que je pourrais ressentir ailleurs. Ma vie est fichue depuis que j’ai quitté Oxford, de toute façon, je refuse juste de l’admettre. Je ne suis pas sûre que j’oserai y remettre les pieds. Ma famille m’adresse à peine la parole depuis que je suis partie, et je comprends tout à fait pourquoi.

Toujours est-il que, cette semaine étant plutôt légère au niveau du travail, j’ai été souvent à la maison, sans doute trop souvent pour que Mark puisse faire ses petites affaires tranquillement, ce qui explique pourquoi il a perdu pieds, s’autorisant un écart qui, pour une fois, se voit, et que j’ai eu du mal à camoufler, même sous mes mensonges éhontés. Une mauvaise chute à cause du tapis mal positionné, même mon patron m’a lancée un regard sceptique. Lui qui m’a sans doute recruté pour mon physique a sans doute le droit d’être déçu ; et pour la peine, il m’a congédiée quelques jours.

Je fuis la maison après un raisonnement assez logique, partant du principe que Mark a besoin de ne pas me voir quelques temps, direction chez Jules, une de mes rares amies ici, à Sydney. J’ai beaucoup de connaissances, peu de gens auxquels je fais vraiment confiance, mais elle en fait partie. Notre célébrité commune est ce qui nous rapproche le plus, sans doute. J’ai apporté une bouteille de vin, passé plusieurs minutes à me remaquiller dans ma voiture, et je sors finalement de l’habitacle pour rejoindre le pas de sa porte, prenant une inspiration presque nerveuse. Je sais qu’elle a déjà soupçonné qu’il se passait quelque chose entre les murs de ma maison, je n’aimerai pour autant pas qu’elle se confirme dans ses pensées. Mais je n’avais nulle part d’autre où aller, et j’ai vraiment envie, et besoin de voir un visage familier et amical ce soir.

La solitude n’a jamais été aussi pesante que depuis quelques temps.

Je sonne finalement, et me pare d’un sourire quand elle apparait dans l’encadrement de la porte. « Bonsoir ! » je lance d’un ton qui se veut le plus joyeux possible. « J’ai apporté du vin, et du chocolat ». J’annonce tout de suite la couleur en lui montrant la bouteille, et la boîte de chocolats que j’ai achetée sur le trajet.

Affalée sur mon canapé, je ne bougeais plus depuis une bonne heure. Je n'avais envie de rien en ce moment. Depuis que j'avais croisé Austin en ville, je déprimais et cela commençait à me jouer des tours. J'étais asssise toute la journée, télécommande dans une main, pot de glace Ben&Jerry dans l'autre. Je devais avoir testé toutes les saveurs possibles. Mon portable ne cessait de vibrer depuis quelques jours. Mes agents commençaient à s'inquiéter. Je n'avais jamais manqué autant de jours de travail. Même sans contrat pour le moment, je passais toujours à l'agence pour éplucher moi même les annonces et si je ne le faisais pas, j'allais à la plage, à la salle de sport. Mais là, j'avais coupé toute vie sociale. De temps à autre, je répondais à un texto de mon agent, de ma famille, de mes amis mais tout se limitait au stricte minimum. Attrapant mon verre à vin plein d'eau à la framboise, je soupira. Même ce petit penchant pour le vin rouge me tournait le dos, en quelque sorte. Je détestais être enceinte et encore plus le fait de ne pas savoir quoi faire de cet enfant. Il ne me restait plus énormément de temps avant d'être dans l'illégatlité. Si je voulais garder cet enfant, il fallait que je prévienne mon agent. Si je voulais avorter, il fallait que je me décide. Alors que je faisais tourner l'eau au sirop dans mon verre, je soupira. Je ne savais pas quoi faire et je n'en avais parlé à personne, enfin presque personne. Austin avait tout deviné, il me connaissait trop bien. Et Coleen l'avait déduit assez facilement. J'avais esquivé la question mais là, j'avais envie de parler, de me confier, d'avoir un avis. Attrapant mon portable, je me balada rapidement sur internet et je sentis mon estomac remonter le long de ma gorge lorsque je vis une photo de Coleen et d'Austin main dans la main. Je regarda la date. Elle venait d'être publiée. Ni l'un ni l'autre n'était donc disponible. Je grogna et plaqua mon portable contre le canapé. Je monta mes genoux et me transforma en 'boule', plongeant la tête entre mes deux genoux. J'étais maudite. Maudite. Je n'arrivais pas à l'accepter, c'était plus fort que moi. Coleen ne cessait de me répéter que c'était une rumeur mais j'avais du mal à la croire. Elle allait finir par lui succomber comme chaque femme digne de ce nom le faisait. Austin avait quelque chose... d'indescriptible. Soupirant, je sursauta en entendant quelqu'un sonner à ma porte. Je me leva rapidement, enfilant mes chaussons à la hâte et regarda de qui il s'agissait à travers l'oeil de bœuf. Cette chevelure blonde. Juliet. Un léger sourire se dessina sur mes lèvres. J'ouvre la porte et lui fais signe d'entrer. « Ma sauveuse » lâchais-je avant d'attraper la boite de chocolat et de me diriger vers le salon. Le vin, très peu pour moi, pas alors qu'un être grandit en moi. Elle va vite comprendre que quelque chose cloche. Je la laisse se débarasser et de ses affaires et l'invite à poser ses fesses sur le canapé. Entre temps, j'ai été lui chercher un verre à vin. Je le pose devant elle et me laisse tomber dans le canapé. « Quoi de neuf bella ? » Je lui adresse un léger sourire, ouvrant la boite de chocolat. Je n'avais pas fais attention à elle jusqu'à ce moment. Je la regarde et fronce les sourcils. Son regard est fuyant et son visage n'est pas comme à son habitude. « Juliet ? Qu'est-ce qui s'est passé avec ton visage ? » Je mets de nombreuses secondes avant de vraiment voir tout ce qu'il se passe. Mes craintes les plus effrayantes semblent se confirmer. Mon sang ne fait qu'un tour, j'en suis presque figée, pétrifiée à l'idée de voir l'une de mes plus proches amies dans cet état. J'ai l'impression de me voir, treize ans plus tôt. Je déglutis avec difficulté et la dévisage, comme si elle venait de tuer un bébé et de le mettre au congélateur.