« Est-ce vraiment nécessaire ? » Demanda Matthew en serrant la main du psychologue avant de s’installer dans le fauteuil en face de lui. Dans le cadre de son cursus de médecine en sixième année, il lui était requis de passer plusieurs tests dont un psychologique pour déterminer s’il était apte à assumer toutes les tâches qui lui seraient confiées. Cette année, il entrait dans le vif du sujet puisque l’hôpital comptait tester son mental pour le recruter comme interne dans le service. Le jeune homme venait de débarquer depuis quelques semaines à Sydney avec sa sœur Norah et il reprenait le chemin des cours pour terminer ses études peu après avoir fait le tour du monde durant une année. Le spécialiste hocha une nouvelle fois la tête. Il devait établir le profil de Matthew et surtout sa force psychologique en cas de moments durs. Le jeune homme en avait connu… Ce n’était pas un problème. « Et si on commençait par votre enfance ? J’ai cru comprendre que vous n’étiez pas du coin. » Débuta-t-il l’entretien. « En effet, je suis arrivé de New York. » Admit Matthew. Il n’aimait pas parler de sa vie ni se confier mais il fallait jouer le jeu. Quand il ausculterait ses patients, ceux-ci s’ouvriraient à lui. Pour qu’une bonne relation s’installe, il devrait les mettre à l’aise et en confiance, de ce fait, être capable de donner la sienne, d’autant qu’il voulait intégrer le service pédiatrique, car il adorait les enfants. Il expliqua donc qu’il avait vu le jour dans une famille aimante, entouré d’une mère et d’un père présent. Matthew avait également une jumelle Norah, qui était la prunelle de ses yeux. Grâce aux revenus aisés de leurs parents, la petite famille n’avait jamais manqué de rien. Ce n’était pas pour autant qu’ils n’avaient pas connu quelques galères. « Pouvez-vous m’en dire plus à propos de ces problèmes ? » S’enquit le spécialiste. « Très vite, notre vie a changé quand on a découvert que Norah avait la mucoviscidose. »  Matthew n’aimait pas se confier en général, cependant il évoquait la maladie de sa jumelle sans aucune honte, car il ne l’avait jamais considérée comme tel. Il aurait simplement voulu qu’elle en soit épargnée. Même si le sort en avait voulu autrement, le garçon qu’il était à l’époque n’en avait été que plus proche d’elle. Les deux enfants avaient grandi avec cette nouvelle réalité sur les épaules et avaient continué de vivre normalement et de profiter tant qu’ils le pouvaient, au fil de périodes ponctuées par des hauts et des bas chez Norah. Vint ensuite l’université après les années lycées. Matthew découvrit un autre monde et se libéra totalement, entre le sérieux des études et la vie en dehors avec les sorties et autres.

« C’est pour elle que vous avez choisi la médecine ? » L’interrogea alors le spécialiste pour aiguiller la conversation vers ce qui l’intéressait vraiment et quitter le monde des soirées qui n’était pas pertinent pour l’entretien. « En partie, oui. C’est le genre de choses qui vous fait prendre conscience que tout est fragile. » Matthew avait en effet veillé sur sa sœur depuis son plus jeune âge et avait pris goût à ce rôle. Très vite, il s’était montré très curieux vis-à-vis de tout ce qui touchait aux sciences, il avait feuilleté des livres par centaines pour essayer de trouver un moyen de guérir sa sœur. Il n’en existait malheureusement pas de définitif, mais Matthew avait développé un goût pour la médecine et surtout pour venir en aide aux autres. Sauver des vies en pratiquant ce qu’il aimait… Que pouvait-il espérer de mieux ? « Mais ce n’est pas ce qui a été le vrai déclic, n’est-ce pas ? » Le jeune homme baissa les yeux et hésita un instant à revivre ce moment horrible, celui où il avait crû perdre Norah. S’il avait réussi à faire un bel effort pour s’ouvrir sur tous les sujets jusqu’à présent, il n’en était pas de même pour celui-ci qui lui restait en travers de la gorge. Matthew devait pourtant en parler de vive voix. Pour la première fois depuis longtemps, il mentionna la crainte et la peur qu’il avait ressenties à cette période-là. « En effet, il y a environ quatre ans, ma sœur a fait une rechute plus forte que les précédentes. » Il décrivit brièvement que sa vie avait alors dépendu d’une greffe de poumons. Les semaines avaient été longues et sombres avant que finalement la délivrance ne tombe. L’histoire était à la fois triste et belle ; triste de se dire qu’une personne avait dû quitter ce monde pour que Norah puisse continuer sa vie, mais belle parce que depuis lors, sa jumelle pouvait plus ou moins mener une vie normale. D’ailleurs, Matthew et elle avaient bien changé depuis cet incident. Il était devenu plus raisonnable, plus réfléchi, tandis que Norah avait perdu toutes les limites imposées par sa maladie depuis toujours. « C’est le genre de choses qui vous change, le genre d’épreuve qui vous fait grandir. » Poursuivit Matthew d’une voix posée. Le psychologue prit plusieurs notes et leva son regard à deux ou trois reprises pour l’observer. Le jeune homme était parfaitement calme quand il parlait, il se maîtrisait extrêmement bien alors même qu’il venait de parler de l’événement qui l’avait le plus touché dans sa vie. Il faisait bien preuve d’un mental de fer. « Que s’est-il passé ensuite ? » Demanda-t-il pour que le jeune médecin en devenir continue son histoire. « J’ai repris ma vie, différemment. On s’est accordé un an de pause pour parcourir le monde, découvrir ce qu’il y avait en dehors de New York. » Expliqua-t-il sans donner trop de détails. Le psychologue fronça les sourcils, perplexe. Il avait l’impression que Matthew sautait un ou deux chapitres. « C’est ce qui vous a amené ici, à Sydney ? » Poursuivit-il. L’histoire était un peu moins « rose ». En réalité, quand ils étaient rentrés, Norah avait bien changé, une attitude qui n’avait pas plu à leur père. Alors, le jour où il avait appris pour la grossesse inopinée de sa sœur, un miracle pour quelqu’un qui, comme elle, souffrait de la mucoviscidose, il s’était emporté contre elle et l’avait envoyé à tous les diables au lieu de s’en réjouir pour la simple et bonne raison que Norah était « indigne de l’avoir eu hors mariage ». Et leur mère n’avait pas levé le petit doigt… Matthew et elle avaient donc décidé de partir pour l’Australie, où leur paternel s’était assuré qu’ils atterrissent pour être suffisamment éloigné de la Grosse Pomme. Pourtant, les jumeaux ne lui pardonneraient jamais cet affront, cette forme d’abandon même. Matthew avait emménagé avec Norah et se montrait là pour elle tandis qu’il avait repris ses études de son côté pour terminer son cursus. Sydney était porteuse de nouvelles promesses, différentes de celles de New York, mais non moins surprenantes. Une situation que Matthew résuma en quelques mots au psychologue… « Bien. La séance se termine ici. Je vous remercie d’avoir répondu sans détour aux questions. » Répondit le spécialiste qui se leva alors pour serrer la main au jeune homme et le raccompagner vers l’extérieur. Bilan de l’entretien ? « Vous êtes tout à fait prêt à intégrer notre service. » Le rassura-t-il aussitôt. « À très bientôt. » Matthew sortit du bureau satisfait et s’empressa de sortir du service de l’hôpital pour partager la bonne nouvelle avec une des personnes qui comptait le plus à ses yeux.