Il aurait adoré être un grand frère exemplaire. Que lui et Reef se marrent tout le temps, fassent tout ensembles, qu'il soit celui qui lui a tout appris. Qu'ils parlent de nanas, des problèmes par rapport à leur micro famille frappée par le deuil.
Mais d'une certaine manière, quelque part, il s'en fout.
Ils rigolent déjà ensembles, y'a aucun conflit direct, alors pourquoi se prendre la tête à ce propos, pourquoi faire des efforts? Il met cet écart sur le dos de leur différence. La famille n'est pas quelque chose de sacré pour lui, peut être même moins que pour Reef, et pourtant c'est lui que Maureen appelle au moins une heure, au moins une fois par semaine, et il attend, fixant le bout incandescent de sa clope, qu'elle s'aperçoive qu'elle monologue, et que s'il ne parle pas, c'est qu'il n'aime pas ça, qu'il n'a rien à lui dire, qu'il préfère être seul. Ou dire les choses par des regards. Que, bref, ce n'est pas qu'il les aime pas, mais qu'il préfère faire des choses avec eux que leur parler. Qu'il préfère carrément ne pas les voir que leur parler. Et que pourtant il donnerait quarante de ses chiens, une bonne dose de bons coups et un de ses membres pour pouvoir continuer ses séances de surf quotidiennes avec Reef. Et puis Jay, ça reste son petit poussin, il ne faut pas trop la toucher.
Le surf, ses clopes ses chiens. Voilà l'ordre existentiel de Dante Kelly, qui se trimballe un prénom maudit qui lui rappelle quotidiennement que si l'enfer, c'est les autres, c'est qu'il est lui même l'enfer de tout le monde - et que son mutisme, son agressivité, sa violence caractéristiques n'aident pas à l'affaire. C'est pour ça qu'il préfère Dan. Dan ça fait connement américain, ça fait moisi ou kéké de la plage, mais c'est mieux que l'ombre noire qui rampe et qui sert de menace constante à tout le monde.

Pourtant il y a un sacré contraste chez l'enfant terrible de sa mère qu'il est. Ce fils de pute, comme certains aiment à l'appeler derrière son dos - parce qu'en face on n'ose jamais.
Il a commencé à bosser dans le chenil par pur besoin de fric, s'est mis à dos tous les employés dès la première semaine; il est un peu nul avec les gens, il y a cette difficulté à aller vers eux qui fait que les trois quart du temps, pour reposer son esprit embrumé, il préfère la facilité, c'est à dire l'agressivité ou le mutisme aux allures un peu méprisantes. Au bout d'une semaine, il était mis en contact avec les animaux. Des chiens et des chats, principalement. Une après midi en plein boulot, figé dans le couloir bifurquant vers l'aile des chats à droite et celle des chiens à gauche, il s'était dit qu'il était parfaitement ça - entre chien et chat. Mystérieux, faux-frère, farouchement indépendant et sans en avoir l'air capable d'une tendresse infinie - loyal jusqu'au bout, aidant, débonnaire et déconnant. Il avait légèrement vacillé sous le choc de la révélation, assez banale et toute conne mais comportement des sensations et des implications inhabituelles à son corps. Il est tout à fait intelligent, mais flemmard - faut pas lui demander de penser à quarante trucs différents en même temps, sauf s'il s'agit de faire une grosse connerie, auquel cas il est précieux dans la stratégie. Bref, depuis ce moment là il partage un lien étrange avec ces sales bêtes. Avec une petite faiblesse particulière pour les clébards paumés comme lui, le plus couvé par sa mère, l'enfant de l'amour qui pourtant se sent encore plus que les autres chien sans collier.